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spécial, l’autonomie, l’indépendance : certainement pas l’attribution de cette ville, en toute souveraineté, à l’Italie. Et par-là elle eut, il est vrai, partiellement corrigé la disposition de la Convention de Londres attribuant sans plus Fiume à la Croatie ; mais elle n’y eût pas substitué la solution de Fiume italienne. A moins de s’être mis en contradiction avec le principe même de leur politique, les promoteurs italiens du pacte de Rome n’ont pu avoir en vue, au-delà de l’Istrie, d’autre objectif que des garanties largement conservatrices de l’italianité et la préservation de quelques foyers d’italianisme comme Fiume et Zara[1].

On a quelquefois voulu voir dans leur entreprise un acte d’hésitation et de doute. C’est se méprendre sur leur intention et faire injure à leur ardent patriotisme. Sans doute eux-mêmes rattachent-ils aux enseignements de la guerre et de ses vicissitudes l’origine de leurs avances aux Yougo-Slaves et de leur tentative de conciliation. Celle-ci n’a pas, toutefois, procédé d’un sentiment de dépression, mais bien d’une politique : la politique des nationalités.

Elle est née des nationalités elles-mêmes, tchéco-slovaque, polonaise, yougo-slave, roumaine, qui sont entrées en lutte contre le Germain et le Magyar, identifiant ainsi leur cause à celle de l’Entente et mettant leurs ressources à sa disposition. La France a, la première, adopté cette cause et utilisé ces ressources, en donnant l’hospitalité de Paris aux conseils nationaux des quatre peuples, en leur fournissant des subsides, en constituant sur son territoire leurs armées nationales. Ceux qui ont ensuite fait passer les Alpes à l’idée de lier partie avec ces auxiliaires sont les délégués mêmes et les propagandistes qu’ils ont envoyés en Italie, et, au tout premier rang, le capitaine, depuis général Stefanik, cet apôtre de la patrie tchéco-slovaque. Le terrain était donc, à Rome même, préparé par les contacts et par la collaboration qui s’étaient établis entre Italiens et représentants des Tchéco-Slovaques et des Polonais, quand les promoteurs du Congrès et du pacte de Rome sont entrés en

  1. Dans un mémoire daté du 20 août 1917 et rendu public le 2 décembre 1919, le professeur Borgese écrivait : « L’aspiration à la Dalmatie et l’aspiration à l’amitié yougo-slave sont deux buts qui s’excluent… » « le peuple yougo-slave verrait l’Italie en Dalmatie du même œil que la France voit l’Allemagne en Alsace-Lorraine. » Dans le même mémoire, il indiquait que, selon lui, l’Italie pourrait obtenir des Yougo-Slaves, entre autres concessions, « la constitution de Fiume et de Zara en villes libres avec des garanties. »