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d’une part ni de l’autre, on ne se soucie de donner, et qui pourtant explique pourquoi la Convention de Londres ne réserve pas Fiume à l’Italie.

C’est qu’en avril 1915 il n’existait en Italie ni mouvement d’opinion, ni tradition politique en faveur de l’annexion de Fiume. Aucun Italien n’en parlait et très rares devaient être ceux qui y pensaient. Trente et Trieste résumaient pour la masse l’irrédentisme national. Le nom de Fiume n’avait à aucun degré la même signification, n’exerçait nullement le même pouvoir d’attraction. Au-dessus de la foule, une élite étendait sans doute son irrédentisme aux peuplements italiens de la rive orientale de l’Adriatique ; entendait, en même temps que la voix du sang, celle des souvenirs historiques, qui lui parlaient de l’empire de Venise et même de l’Empire romain ; faisait enfin entrer en ligne de compte des considérations politiques, stratégiques et économiques. Mais c’était là un irrédentisme principalement intellectuel. Les noms de Fiume et de Dalmatie n’étaient évocateurs d’italianité et de domination ancienne qu’à l’esprit d’un petit nombre d’Italiens. Économiquement, Trieste paraissait une aubaine suffisante à satisfaire les plus difficiles. Stratégiquement, le port commercial de Fiume ne présentait aucun intérêt ; Pola et Vallona semblaient devoir, avec Tarente, assurer la maîtrise de l’Adriatique : la possession ou la simple neutralisation du littoral et des îles dalmates achèveraient de garantir la sécurité de la côte italienne. Politiquement, personne ne s’attendait à l’entière dislocation de l’Empire austro-hongrois ; et laisser un débouché sur l’Adriatique à la Croatie, province de la Hongrie ou partie d’une monarchie trialiste, paraissait une concession logique et dépourvue d’inconvénient. Tel est l’état d’esprit qui a été celui des négociateurs italiens de la Convention de Londres, d’où est résultée la rédaction même de l’acte, et qui leur a permis d’avoir, en le signant, la conscience en repos. La plus exigeante des consciences italiennes s’en fût satisfaite alors comme celle de ces grands Italiens, les Sonnino, les Salandra.

La Convention de Londres a été tenue secrète, d’un secret qui a été decrescendo. L’opinion publique italienne a d’abord ignoré les conditions mises à l’entrée en guerre de son pays ! nombre d’Italiens ont été longtemps sans savoir même que leurs buts de guerre avaient fait l’objet d’un contrat avec les