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Cette vive impulsion française encouragea les populations rhénanes dans leur disposition naturelle à protéger les vestiges de leur passé et à recueillir leurs légendes. Au temps napoléonien, on voit un vaste mouvement populaire se développer dans les pays rhénans pour la protection des ruines. Des associations d’habitants se forment pour réveiller et déblayer, dans le Palatinat, les fameux burgs de Hartenburg, de Hambach et de Trifels, perdus au milieu des broussailles comme des châteaux de la Belle au Bois Dormant. Sur le Rhin, la ruine de Rheinfels, qui fut la plus solide forteresse du fleuve, est achetée en 1812 par un bourgeois de Saint-Goar. Piété qui ne laisse pas d’être utilitaire, car volontiers un aubergiste s’annexe à la ruine, et rafraîchit dans la cave du vieux burg son meilleur vin du pays.

Après le départ des autorités françaises, ce mouvement populaire se continua avec toute sa pureté dans les vallées écartées de l’Eifel et du Palatinat. L’exemple le plus touchant de cette sensibilité locale qui ne se laisse pas recouvrir, nous est fourni par l’aventure de l’églantier du roi Dagobert. C’était sur les pentes du Hardt, au Nord-Ouest de Landau, un églantier géant séculaire qui, disait la légende, avait abrité le roi Dagobert, quand ce bon prince, poursuivi par les grands de son royaume, dut se cacher au milieu de ses fidèles paysans. En 1823, un orage brisa l’églantier. Alors un petit instituteur du village voisin de Frankweiller vint solennellement avec ses écoliers planter au même endroit un nouvel églantier. — Pour les légendes, de même, l’activité des petites gens du pays, instituteur et curé, put se poursuivre en paix, après l’Empire, sur la Moselle et dans la montagne palatine. L’instituteur palatin Auguste Becker passa des années à recueillir, dans les chaumières et sur les routes, les traditions populaires du pays. A Trêves, le professeur au jeune lycée impérial Philippe Laven put patiemment rechercher dans les archives et autour des ruines les vestiges des légendes de l’époque romaine.

Mais quelle différence dans la vallée proprement dite du Rhin et dans les régions ouvertes aux influences du dehors ! Là, c’en est fini, après 1815, de la consolidation pieuse des monuments du passé et du docile enregistrement des légendes telles quelles. L’âge des restaurations, des interprétations et des reconstructions commence, l’âge d’une sensibilité d’outre-Rhin qui cherche à neutraliser la sensibilité rhénane. La Prusse a