L’INDÉSIRABLE
La sirène déchira l’espace vibrant de soleil trouble. Pour la seconde fois, la clameur emplit la rade aux flots jaunes, balaya le rivage que des palmiers métalliques agriffaient au ciel bas, à l’étouffante grisaille d’où la chaleur suintait. Elle courut à la surface de l’eau comme un halètement de bète marine, et les palétuviers aux racines tentaculaires frémirent le long du fleuve. Dans le miroitement des lianes, des serpents ondulèrent ; des glissements répondirent dans l’ombre de la jungle aquatique à l’appel du navire en partance. Un vol de perroquets jacasseurs fusa des cimes noires de la forêt dont la masse ondulait au loin vers des infinis de mystère et de menace.
L’Intercolonial était mouillé à l’embouchure du grand fleuve. Sur l’appontement, que l’eau baignait de clapotis gras, une foule polychrome guettait le départ. Des uniformes blancs, des casques, des madras orangés et écarlates. L’incandescence mate des flots crispait des visages jaunes de fièvre ou blêmes d’anémie. Des faces noires luisaient dans la blancheur amidonnée des coutils. Une négresse, les seins roides sous la colonnade safranée, la nuque lisse comme un fût d’ébène, soulevait au-dessus de sa tête un panier de fruits : des bananes jaunes, des mangues violacées et ces pommes de Cythère, pareilles à des confiseries peintes.
Le paquebot lança son dernier avertissement. Pas un cœur, le plus endurci, qui n’éprouvât, comme un coup de stylet, l’angoisse de ce hululement sans fin. La rauque traînée de son suscitait des adieux, des révoltes, des agonies. Les hommes de la forêt voyaient dans la brume du crépuscule s’évanouir le