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foudroyé par le fulminate de mercure, et tant d’autres sans compter les blessés.
PINGOLKY. — Tiens ! tiens ! nous ne nous doutons pas de tout cela dans les salons ; nous estimons votre métier le plus paterne de tous les métiers. Comment se fait-il que ces catastrophes n’aient pas plus de retentissement ?
MICHEL. — C’est que la science n’inscrit pas ses morts dans ses bulletins : elle n’y inscrit que ses conquêtes. Le courage n’est même pas compté dans la gloire du savant.


Nous voyons, en scène, osciller le cylindre de fonte où se développe une formidable pression de gaz, et qui peut éclater. L’art théâtral d’Augier est tel, qu’à la seule lecture même, on est pris à la gorge par l’anxiété. Le plus grand reproche qu’on puisse adresser à cet acte, au point de vue littéraire, c’est qu’il est un scénario cinématographique tout pur, mais on lui fait ainsi un grand éloge si l’on ne se préoccupe que de l’artifice scénique. Nul, avant Emile Augier, n’avait utilisé la science comme un moyen dramatique, nul ne nous avait émus sur l’attente du résultat d’une combinaison chimique, nul n’avait mis sur le théâtre le laboratoire d’un savant. Augier nous est déjà apparu comme un réaliste dans l’étude des mœurs ; il l’est, cette fois, dans le décor et dans l’action ; il fut bien un précurseur.

Mais revenons à notre sujet. Pierre Chambaud, par son héroïsme et son succès, aura conquis, du même coup, sa femme, le respect de sa belle-mère, le bonheur domestique et la gloire. Que lui serait-il arrivé, s’il n’avait pas été un grand savant ? Il se serait trouvé dans le cas de Fourchambault, qui, pour avoir épousé une dot de huit cent mille francs, est mené au bord de la ruine par sa femme, laquelle, au refus d’un yacht dont elle a le désir, dit à son mari :

— Oh ! ma pauvre mère, en me donnant à vous avec huit cent mille francs, ne croyait pas me vouer à une vie de privations. J’aurais cru que ma dot m’autorisait à me passer quelques fantaisies, je me suis trompée… Est-ce vous qui payez ?

C’est lui qui paie, quoi qu’elle en dise, et tant, qu’il en est à deux doigts de la faillite. Il s’en plaint :

— Je devrais être riche, et grâce au train que tu me fais mener au nom de ta dot, je vis au jour le jour, et, s’il éclatait une catastrophe sur la place du Havre, je n’ai pas ça de réserve pour y faire face.