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— J’ai voulu, me dit-il, vous exprimer toute ma gratitude, toute mon admiration pour votre pays. En se montrant une si fidèle alliée, la France a donné au monde un exemple inoubliable de patriotisme et de loyauté. Transmettez, je vous prie, au gouvernement de la République, mes remerciements les plus cordiaux.

Il articule cette dernière phrase, d’une voix pénétrante, et qui trépide un peu. Son émotion est manifeste ; je réponds :

— Le gouvernement de la République sera très sensible aux remerciements de Votre Majesté. Il les mérite par la promptitude et la résolution avec lesquelles il a rempli ses devoirs d’allié, quand il a dû reconnaître que la cause de la paix était irrémédiablement perdue. Ce jour-là, il n’a pas hésité un instant. Et dès lors, je n’ai plus eu à transmettre à vos ministres que des paroles de soutien, des assurances de solidarité.

— Je le sais, je le sais !… J’ai d’ailleurs toujours eu foi dans la parole de la France.

Puis nous parlons de la lutte qui va s’engager. L’Empereur la prévoit très rude, très longue, très périlleuse :

— Il faut nous armer de courage et de patience. Quant à moi, je combattrai à outrance. Pour obtenir la victoire, je sacrifierai jusqu’à mon dernier rouble et à mon dernier soldat. Tant qu’il y aura un ennemi sur le territoire russe ou sur le territoire français, je ne signerai pas la paix.

C’est du ton le plus calme, le plus uni qu’il me fait cette déclaration solennelle. Il y a, dans sa voix et surtout dans son regard, un mélange singulier de résolution et de placidité, je ne sais quoi d’inébranlable et de passif, de vague et de définitif, comme s’il n’exprimait pas sa volonté personnelle, comme s’il obéissait plutôt à une force extérieure, à un ordre de la Providence ou du Destin.

Moins avancé que lui dans les voies du fatalisme, je lui expose, avec toute l’énergie dont je suis capable, le danger terrible que la France va courir pendant la première phase de la guerre :

— L’armée française devra soutenir le choc formidable de vingt-cinq corps allemands. Je supplie donc Votre Majesté de prescrire à ses troupes une offensive immédiate. Sinon, l’armée française risque d’être écrasée. Et toute la masse, allemande se retournerait alors contre la Russie.