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Je me posais la question, ce soir, vers dix heures, lorsqu’on m’annonce qu’un flot populaire s’est rué sur l’ambassade d’Allemagne et l’a saccagée de fond en comble.

Située sur la place la plus importante de la ville, entre la cathédrale de Saint-Isaac et le Palais Marie, l’ambassade d’Allemagne est un édifice « kolossal. » Façade massive en granit de Finlande ; lourdes architraves ; maçonnerie cyclopéenne. Sur le toit, deux énormes chevaux de bronze, tenus en main par des géants, achèvent d’écraser le bâtiment. Abominable comme œuvre d’art, la construction est puissamment symbolique ; elle affirme, avec une éloquence grossière et tapageuse, la prétention de l’Allemagne à prédominer en Russie.

La populace a envahi l’hôtel, brisé les vitres, déchiré les tentures, crevé les tableaux, jeté par les fenêtres tout le mobilier, y compris les marbres et les bronzes de la Renaissance qui formaient l’admirable collection privée de Pourtalès. Et, pour finir, les assaillants ont renversé sur le trottoir le groupe équestre qui surmontait la façade. Le pillage a duré près d’une heure, sous l’œil complaisant de la police.

Cet acte de vandalisme aurait-il aussi une valeur symbolique ? Présagerait-il la ruine de l’influence allemande en Russie ?…

Mon collègue d’Autriche-Hongrie, le comte Szapary, est encore à Pétersbourg, sans comprendre pourquoi son gouvernement se montre si peu empressé à rompre les relations avec le gouvernement russe.


Mercredi, 5 août 1914.

La colonie française de Pétersbourg fait célébrer aujourd’hui, à Notre-Dame de France, une messe solennelle pour appeler sur nos armées la bénédiction divine.

A cinq heures du matin, Buchanan m’a téléphoné qu’il a reçu dans la nuit un télégramme du Foreign-Office qui lui annonce la participation de l’Angleterre à la guerre. Je prescris donc d’ajouter le pavillon britannique aux pavillons français et russes qui décorent le maître-autel.

A l’église, j’occupe mon fauteuil habituel, dans la travée de droite. Buchanan arrive presque en même temps :