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ancêtre a été désapprouvé, blâmé, d’avoir pris, en personne, le commandement des opérations. Elle y verra aussi tous les maux qui auraient pu être évités, s’il était resté dans sa capitale pour y exercer, de haut, son pouvoir suprême.

L’Empereur a fini par se ranger à cet avis.

Le général Soukhomlinow, ministre de la Guerre, qui convoitait depuis longtemps le poste éminent de généralissime, est furieux de s’être vu préférer le Grand-Duc Nicolas. Et, malheureusement, il est homme à se venger…


Mardi, 4 août 1914.

Hier, l’Allemagne a déclare la guerre à la France.

La mobilisation générale se poursuit avec activité et sans le moindre incident, à travers l’Empire. On a même gagné, pour les troupes de couverture, cinq ou six heures sur les horaires prévus.

Sazonow, dont j’ai souvent apprécié la vertu de désintéressement et d’intégrité, s’est manifesté à moi, ces temps derniers, sous un aspect qui l’élève encore. Dans la crise actuelle, il ne voit pas seulement un problème politique à résoudre, mais aussi et surtout un problème moral, où la religion même intervient. Tout son travail intérieur est dominé par les ordres secrets de sa conscience et de sa foi. A plusieurs reprises, il m’a dit :

— Cette politique de l’Autriche et de l’Allemagne est aussi coupable qu’absurde : elle ne renferme pas le moindre élément de moralité ; elle outrage toutes les lois divines.

Ce matin, le voyant épuisé de fatigue, les yeux fébriles et cernés, je lui demande comment il peut supporter un pareil labeur avec une santé si délicate ; il me répond :

— Dieu me soutient.

Toute la journée, des cortèges, portant des drapeaux et des icônes, ont défilé devant l’ambassade, aux cris de : « Vive la France !… Vive la France !… »

Foule très composite : ouvriers, popes, moujiks, étudiants, étudiantes, domestiques, petits employés, etc. L’enthousiasme paraît sincère. Mais, dans ces manifestations si nombreuses et qui se produisent à intervalles si réguliers, quelle part faut-il faire à l’action de la police ?…