le quai de la Néwa, quatre moujiks, qui déchargent du bois, s’interrompent de leur travail pour écouter leur patron, qui leur lit le journal. Puis ils pérorent longuement, tous les cinq, avec des gestes graves, et des mines indignées : la délibération se termine par des signes de croix.
A deux heures de l’après-midi, Pourtalès se rend au ministère des Affaires étrangères. Sazonow, qui le reçoit immédiatement, devine dès les premiers mots que l’Allemagne ne veut pas prononcer à Vienne la parole modératrice qui sauverait la paix.
L’altitude de Pourtalès n’est d’ailleurs que trop significative : il est effondré ; car il aperçoit maintenant les conséquences de la politique intransigeante dont il a été l’instrument, sinon même l’instigateur ; il voit la catastrophe inévitable et il succombe sous le poids de sa responsabilité :
— De grâce, dit-il à Sazonow, faites-moi une proposition quelconque, que je puisse recommander à mon Gouvernement. C’est mon dernier espoir.
Sazonow improvise immédiatement cette formule ingénieuse :
Si l’Autriche, reconnaissant que la question austro-serbe a pris le caractère d’une question européenne, se déclare prête à éliminer de son ultimatum les points qui portent atteinte aux droits souverains de la Serbie, la Russie s’engage à cesser ses préparatifs militaires.
Toujours accablé, les yeux hagards, la parole bégayante, Pourtalès se retire, d’un pas chancelant.
Une heure plus tard, Sazonow est introduit au Palais de Péterhof, pour faire son rapport à l’Empereur. Il trouve le souverain très mal impressionné par un télégramme que l’empereur Guillaume lui a expédié dans la nuit et dont le ton est presque menaçant :
Si la Russie mobilise contre l’Autriche-Hongrie, la mission de médiateur, que j’ai acceptée sur ton instante prière, sera compromise, sinon même rendue impossible. Tout le poids de la décision à prendre pèse actuellement sur tes épaules, qui auront à supporter la responsabilité de la guerre ou de la paix.
Ayant lu et relu ce télégramme, Sazonow fait un geste désespéré :
— Nous n’éviterons plus la guerre !… L’Allemagne se dérobe visiblement à l’action médiatrice que nous lui demandons et