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cuivre, de fer et de mercure. Ils n’y deviennent pas rudes, grossiers, intéressés, exigeants comme leurs collègues d’outre-Rhin. Ce ne sont pas des divinités de caverne, mais des proches parents des fées et des nains que nous voyons évoluer avec tant de politesse et de grâce dans les Contes de Perrault. Ils ne sont pas de la cour, mais ils sont sociables. Exactement, ils sont professionnels.

Toute cette humanité de la mythologie rhénane, qu’est-ce à dire ? Qu’ici le soleil sait dissiper les brumes qui traînent dans le manteau du roi des Elfes. Nous ne sommes pas sous un ciel où les difformités paraissent des puissances. La nature des pays rhénans n’inspire pas à ses habitants le frémissement de terreur dont la course éperdue des nuages du Brocken, les brumes de la Baltique, les forêts insondables de la Germanie primitive ont hanté d’autres imaginations. Ce n’est pas sur le Rhin que peuvent naître Wotan, le dieu borgne, ni le chasseur sauvage qui galope la tête retournée vers la queue de son cheval. L’Eifel même, la seule partie de la Rhénanie qui soit déshéritée à l’égal des pires solitudes du Nord, n’a été peuplée de personnages hostiles que par l’effort des germanisants ; les habitants des douces vallées et des villes policées du bas pays n’avaient jamais imaginé des hantises et des peuplements de terreur. Il a fallu que cette figuration d’horreurs vînt de toutes pièces des troubles forêts de la Germanie la plus brutale.


La plus célèbre, la plus souvent chantée de ces figures mythiques du pays rhénan, — on a nommé la Lorelei, — nous permet de voir au clair, au net, et, pour ainsi dire, de toucher du doigt par quelle contamination un fait divers simplement humain s’est transformé en une figuration profondément inquiétante des forces naturelles. Armons-nous de clairvoyance et d’un cœur solide, pour aborder, de ces créatures de légendes, la plus séduisante et la plus gentiment perverse.

Il existe sur le fleuve un triste rocher solitaire au pied duquel périrent de nombreux pêcheurs engloutis dans les tourbillons. Les humanistes des XVe et XVIe siècles, Konrad Celtes et Fréher, rapportent qu’on y voyait des oréades, des divinités forestières et des dieux pans, panas, sylvanos, oreades, silvicolas deos. Rien, alors, de la Lorelei. Elle apparaît pour la première fois dans une poésie des débuts de Clément Brentano (en 1799).