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Notre conversation a suffi à lui détendre les nerfs. Et c’est très posément qu’il reprend :

— N’ayez aucune crainte ! Vous connaissez d’ailleurs la sagesse de l’Empereur… Berchtold s’est mis dans son tort : nous devons lui faire assumer toute la responsabilité de ce qui peut suivre. Je considère même que, si le cabinet de Vienne passe à l’action, les Serbes devront laisser envahir leur territoire et se borner à dénoncer au monde civilisé l’infamie de l’Autriche.


Samedi, 25 juillet 1914.

Hier, les ambassadeurs d’Allemagne à Paris et à Londres sont venus lire aux gouvernements français et britannique une note où il est déclaré que le différend austro-serbe doit être exclusivement réglé entre Vienne et Belgrade. La note se termine ainsi : Le gouvernement allemand désire ardemment que le conflit soit localisé, toute intervention d’une tierce Puissance devant, par le jeu naturel des alliances, provoquer des conséquences incalculables.

Voilà les procédés d’intimidation qui commencent !

A trois heures de l’après-midi, Sazonow me reçoit avec Buchanan. Il nous annonce qu’un conseil extraordinaire a été tenu ce matin, à Krasnoïé-Sélo, sous la présidence de l’Empereur et que Sa Majesté a décidé, en principe, de mobiliser les treize corps d’armée qui sont éventuellement destinés à opérer contre l’Autriche-Hongrie.

Puis, très gravement, s’adressant à Buchanan, il insiste de toutes ses forces pour que l’Angleterre ne tarde pas davantage à se ranger du côté de la Russie et de la France, dans une crise où l’enjeu n’est pas seulement l’équilibre européen, mais la liberté même de l’Europe.

J’appuie les instances de Sazonow et je termine par cet argument ad hominem, en montrant le portrait du grand-chancelier Gortchakof qui orne le cabinet où nous délibérons.

— Ici même, au mois de juillet 1870, mon cher sir George, le prince Gortchakof déclarait à votre père[1], qui lui dénonçait le danger des ambitions germaniques : L’accroissement de la puissance allemande n’a rien qui puisse inquiéter la Russie. Que

  1. Sir Andrew Buchanan, qui était alors ambassadeur à Saint-Pétersbourg.