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d’Orsay, me convoqua ; c’était la première fois que je l’abordais. Il avait l’air sombre, le teint brouillé, les gestes nerveux.

— Eh bien ! me demanda-t-il brusquement, vous croyez donc à la guerre ?… Briand m’a raconté votre conversation.

— Oui, je crois que la guerre nous menace à brève échéance, et que nous devons nous y préparer.

Alors, en paroles saccadées, il me pressa de questions, sans me laisser parfois le temps de répondre :

— Vraiment, la guerre peut éclater ?… A quel propos ?… Sous quel prétexte ?… Dans quel délai ?…Une guerre générale ?… Une conflagration universelle ?…

Un mot brutal lui jaillit des lèvres et son poing s’abattit sur la table.

Après un silence, il se passa la main sur le front, comme pour chasser un mauvais rêve. Puis, d’un ton plus calme, il reprit :

— Veuillez me répéter, mon cher ambassadeur, tout ce que vous venez de me dire. C’est si grave !

Je développai à fond mes idées et je conclus :

— En tout cas et même si mes pressentiments sont trop pessimistes, nous devons, renforcer autant que possible le système de nos alliances. Il faut principalement que nous complétions nos accords avec l’Angleterre ; il faut que nous puissions compter sur le concours immédiat de sa flotte et de son armée.

Lorsque j’eus fini mon exposé, il se passa de nouveau la main sur le front et, me fixant d’un regard anxieux, il me demanda encore :

— Vous ne pouvez pas m’indiquer, même à titre d’hypothèse, dans quel délai vous imaginez que les événements irréparables se produiront et que l’orage éclatera ?

— Il m’est impossible de fixer aucune date. Pourtant, je serais surpris si l’état de tension électrique, où vit l’Europe, n’aboutissait pas bientôt à une catastrophe.

Soudain, il se transfigura ; son visage s’illumina d’une clarté mystique ; sa taille se redressa :

— Eh bien ! s’il en doit être ainsi, nous ferons notre devoir, tout notre devoir. La France se retrouvera ce qu’elle a toujours été, capable de tous les héroïsmes et de tous les sacrifices. On reverra les grands jours de 1792 !…