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des comtes sauvages ; — monastères, chapelles, abbayes, dont la plus ancienne est l’abbaye de Bénédictins de Klingenmunster, fondée en 674 par le roi Dagobert… Nous n’énumérerons pas ces ruines ; elles sont trop, et puis elles parlent un langage que nous sommes pressés d’entendre.

Chacune d’elles a sa légende. D’un bout à l’autre du fleuve, c’est une rumeur ininterrompue des burgs, des rochers, des monastères et des gouffres. Une rumeur d’une incomparable variété, où semble bruire toute la riche histoire de la vallée du Rhin, et qui fait à elle seule un tout organique, une symphonie à part dans le concert merveilleux du folk-lore germanique.

A passer un certain temps dans la familiarité des légendes germaniques d’outre-Rhin, on en garde l’impression d’une ambiance hostile, d’une lutte à peu près impossible de l’homme contre des puissances mystérieuses, de l’œuvre humaine perpétuellement défaite par des êtres jaloux, des fatalités naturelles qui semblent ressortir de partout. C’est même le pathétique de ces terribles luttes qui confère le plus fort de son émotion au lyrisme populaire d’outre-Rhin. Au contraire, à s’attarder avec les légendes rhénanes, on se sent au contact d’un héroïsme qui veut triompher des forces confuses de la nature et de la bestialité, ou bien encore au contact des faiblesses et de la fragilité du cœur humain que l’imagination populaire tâche de consoler. Rien du chaos nocturne des légendes du Brocken, rien de ce qui vient de la Baltique et de ces pays de sable et d’horizon indéfini où l’homme se débat perpétuellement sous des inimitiés insondables et farouches. Cette mythologie germanique primitive, avec ses tourbillons inhumains et ses déchaînements d’éléments dévastateurs, semble plutôt superposée qu’indigène dans les créations de l’imagination rhénane. Elle n’y apparaît que par infiltration du dehors. C’est de ses expériences propres que le peuple rhénan forme ses légendes. Comme son poète le plus fameux, il a fait des petites chansons avec ses grandes douleurs et ses j’oies, avec ses épouvantes et ses émerveillements. Sa tradition a retenu des événements juste ce qui peut tenir dans cette espèce de musique de la mémoire qu’est le folk-lore. Le folk-lore du Rhin est local.

C’est d’immense importance et vaut que nous nous en rendions un compte exact par l’analyse. Mais le monde des légendes est diffus, imprécis par nature. Le flot de