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Peut-être qu’elle s’en fait un plaisir. On ne peut lui reprocher de manquer de bravoure. Cette qualité est une de celles qu’elle estime le plus, et qui font partie, assure-t-elle, du caractère de la famille. « Margot, » — laissons-lui le petit nom dont elle se coiffe si crânement, — nous prévient que la franchise est à peine un mérite chez elle, mais qu’elle n’a jamais su faire la différence « entre les vérités qui sont bonnes à dire, et les autres. » Elle pense d’ailleurs que, le genre admis, il faut « y aller » jusqu’au bout et ne pas se contenter d’une moitié d’indiscrétion. Autant se faire pendre pour un mouton que pour un agneau. Elle nous a donc tout dit, pendant qu’elle y était, avec une joie maligne et un contentement secret d’irriter les préjugés de ses compatriotes.

Il faut se représenter ce qu’une telle insolence peut soulever de réprobation dans un pays où l’on observe une réserve si sévère sur toutes les choses de la vie intime. J’entendais dire avec chagrin à des amis anglais : « Voilà pourtant une femme qui raconte tout au long la nuit de noces de son mari ! » Ils exagéraient ; du moins n’ai-je rien lu de pareil dans la Vie de Mme Asquith. Il n’en est pas moins vrai qu’elle publie l’histoire de ses grossesses et de ses déconvenues maternelles, et qu’elle nous introduit, avec un luxe de détails, dans une intimité d’alcôve où l’étranger s’étonne un peu d’être initié. Qu’elle nous apprenne que son mari fait sa prière tous les soirs près du lit où elle couche, voilà un de ces traits qui eussent paru invraisemblables à un observateur d’il y a quarante ans. Qu’ont donc fait les Anglais de leur mot improper ? Peut-être enfin, même autre part qu’à Londres, trouverait-on plus qu’étrange qu’une femme du monde, sans y être contrainte la tête sur l’échafaud, nous mette dans la confidence de toutes les amourettes qu’elle a eues avant le mariage, et imprime tout vifs les noms des infortunés qui ont eu le malheur de lui faire la cour. Une personne plus habile eût fait de ces épisodes une « nouvelle » curieuse, dans le genre de la Double méprise ; il eût suffi d’un peu de détachement artistique et de la plus légère altération des circonstances. Mais l’auteur s’est refusé, avec un beau scrupule, à toute compromission avec la vérité. Au reste, qu’avons-nous à dire ? Mme Asquith a dédié son livre à son mari. Honny soit qui mal y pense.

Peut-être, pour expliquer le cas littéraire de la fille, un mot sur les parents n’est-il pas inutile. Son père était le Tennant de « Humphreys and Tennant, » la fameuse Société des forges de la Clyde, un des grands constructeurs de machines de Glasgow : fils