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sienne, mais plutôt celle qu’éprouverait le fantôme de Marie-Rose. Toute la patience de Claire se trouve mise à l’essai. Et Claire a toute la bonté qu’il faut.

Puis la guerre éclate. Et Charles est mobilisé comme lieutenant du génie. Claire et Alain restent seuls, dans la propriété de l’Orme, en Gascogne.

Ce qui arrive alors est une chose extraordinaire et telle que nulle prévision ne l’eût donnée à redouter, l’une de ces aventures qui défient l’analyse et que les romanciers ont l’air d’inventer à plaisir : mais, pour accuser d’imprudence les romanciers qui montrent le cœur humain déraisonnable et illogique, sans doute devrait-on commettre la faute de croire le cœur humain beaucoup moins fol qu’il ne l’est en vérité. Bref, l’antipathie d’Alain pour Claire devient une amitié qui devient de l’amour. Et, Claire, tous les bons sentiments qu’elle avait pour son mari, et qui n’étaient pas de l’amour, continuent de l’animer comme naguère ; seulement, l’amour, qu’elle ne connaissait pas, naît en elle, et malgré elle, et presque à son insu d’abord, la livre au jeune Alain.

L’amour de Claire et d’Alain, l’épisode principal et la péripétie de ce roman, c’est un amour criminel et c’est un bel amour. Et, comment un amour criminel peut être un bel amour, rappelez-vous l’histoire de Françoise de Rimini et de Paolo Malatesta. M. Marcel Prévost, cependant, n’a point cédé au charme d’une poésie malsaine et analogue à celle que les nouveaux romantiques s’amusent à préconiser : il ne proclame pas les fameux droits de la passion, le droit à la vie, la liberté du cœur et tout cela qui n’est que fatras de philosophie abjecte. Ni Alain non plus ou Claire n’ont d’effronterie ; mais ils savent qu’ils ont commis un péché. La notion du péché ne leur rend pas leur amour plus délicieux : car ils sont exempts de perversité comme de niaiserie. Et si, connaissant leur péché, ils y persévèrent, ce n’est pas un défi à la morale commune : ce n’est que faiblesse ; tous deux sont plus faibles que leur amour. La vie morale la plus haute ne comporte aucun péché ; mais il y a vie morale encore, et même dans la faute, si la notion du péché n’est ni abolie, ni méprisée : une vie morale encore, bien que fautive, résulte de la lutte qu’on soutient contre le péché. Telle est la vie très malheureuse, dans les délices de l’amour, de Claire et d’Alain, coupables et que tourmente le sentiment de leur culpabilité.

M. Marcel Prévost, qui les aime, ne leur cherche point une excuse : il explique, du moins, leurs personnages et leur double défaillance.