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la question de la guerre et de l’influence idéologique de la guerre, a placé son roman d’idées dans la guerre, dans la nuit de la guerre proche de finir en clarté.

Il ne nous mène pas sur le front, ne fait pas de récits de batailles ; et l’aventure est située en Gascogne. Mais, à l’arrière, on souffre de la guerre ; et, pour que la guerre n’y soit pas méconnue, n’y aurait-il que les allées et venues des permissionnaires, cela suffit. Peut-être n’a-t-on pas tracé une image plus étonnante et vraie de notre Poilu que celle-ci : « Sous le casque bossue, sous la capote délavée dont la couleur semblait tissée de ciel et de terre, — aux épaules le faix du barda : paquets difformes, godasses crayeuses, gourdes, gobelets, bâtons, torchons de linge et de drap ; leurs jambes enroulées comme dans un pansement, leur buste strié de courroies et de sangles, où brimbalaient parfois une croix de guerre, une médaille militaire, des décorations d’Afrique ou d’Orient, — la face barbue, les yeux éteints ou bien luisants de fièvre, le pas balancé, lent ; criant peu, car la nécessité de la tranchée les avait dressés au silence, — fumant, mastiquant, accolant des litres, occupant les salles, les quais, les voies, entrant où ils voulaient, stationnant où il leur plaisait, grimpant dans les trains selon leur idée, obstinés, patients, massifs, — ces prodigieux voyageurs promenaient à travers la France de l’arrière l’image formidable du front ; et déjà, autour de cette image héroïque, reçue par les yeux des enfants, des femmes, des hommes trop vieux ou trop mal bâtis pour la guerre, s’édifiait la légende des Poilus… » On dirait d’une estampe de Bernard Naudin. Le style de M. Marcel Prévost qui, ailleurs, a les plus jolies grâces, le ton rapide ou volontiers nonchalant du récit, prend cette fois un tour bien différent, se resserre, se ramasse et dessine trapu l’authentique symbole de l’énergie française.

Voilà le portrait physique du Poilu. Et, comme un portrait ressemblant donne beaucoup plus que l’aspect physique et donne aussi quelque chose de l’âme, cette grande et forte vignette contient la vitalité qui l’anime.

Il faut pourtant dépasser l’apparence première et, dans l’intimité quotidienne, examiner les caractères nouveaux et imprévus que forme la guerre ou qu’elle transforme et qui, soudain, mis en contact avec l’ancienne existence, montrent involontairement leur singularité. L’un des personnages principaux de ce roman, Charles Teyssèdre, est la bonté, la douceur même, le meilleur des maris, l’homme le plus facile à vivre, et tendre avec une timide et exquise