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POÉSIES


Ô NUIT !

Lorsque j’étais tout jeune, en été, dans la nuit,
Au seuil de ma maison sur des jardins ouverte,
Écoutant déferler le vent dans l’ombre verte,
— Promesse de bonheur qui s’approche et s’enfuit, —

Je m’écriais : Ô nuit ! balbutiant d’extase,
Je répétais : Ô nuit ! sans dire un mot de plus ;
J’aurais voulu pouvoir submerger d’un reflux
D’étoiles mon cœur vierge offert comme un beau vase.

Ce vent venu de noirs pays délicieux,
J’aurais voulu pouvoir l’arrêter au passage.
En regardant là-haut ces soleils en voyage,
Je croyais regarder la vie au fond des yeux.

Maintenant, la fatigue a déjà fait plus blême
Ce front nu dont je sens la pâleur certains soirs ;
Et cependant le charme est demeuré le même :
Le bonheur est plus fort que tous nos désespoirs !

Et quand j’erre au jardin dans la ténèbre chaude.
Effleuré ça et là par un rameau pendant,
Ainsi qu’aux jeunes nuits où l’illusion rôde.
Je tiens les yeux levés vers le grand gouffre ardent !