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En pleine Cinquième Avenue, May l’étonna en lui jetant les bras autour du cou :

— Mais rien ne peut nous arriver maintenant, dit-elle, puisque nous sommes ensemble !

Tous les détails de la journée avaient été si soigneusement réglés, qu’après le déjeuner, les jeunes mariés eurent tout le temps nécessaire pour se préparer au départ. En tenue de voyage, ils descendirent le large escalier de Mrs Mingott, escortés de la bande rieuse des demoiselles d’honneur ; ils embrassèrent leurs parents et montèrent dans la voiture qui les attendait, tandis qu’on jetait derrière eux la traditionnelle averse de riz et la pantoufle de satin. Ils purent choisir, sans se presser, à la bibliothèque de la gare, les magazines de la semaine, avec l’air détaché de voyageurs ordinaires, et enfin s’installer dans le compartiment réservé, où la femme de chambre de May avait déjà placé le manteau gris-palombe et le sac de voyage, tout battant neuf, et qui venait de Londres.

Les vieilles tantes de Rhinebeck avaient mis leur maison à la disposition des jeunes mariés, avec un empressement peut-être dû à la perspective séduisante d’un séjour chez Mrs Archer. Newland, heureux d’échapper aux hôtels de Baltimore ou de Philadelphie, où il était d’usage de passer les premiers jours de la lune de miel, avait accepté la proposition de grand cœur.

May, enchantée d’aller à la campagne, s’était amusée comme une enfant des vains efforts des huit demoiselles d’honneur pour arriver à savoir le lieu de la mystérieuse retraite.

Quand les mariés furent installés dans leur compartiment, que le train eut dépassé les faubourgs et fut entré dans la campagne printanière, la conversation devint plus aisée qu’Archer ne l’avait espéré. May était encore la naïve jeune fille de la veille : elle discutait avec une impartialité de simple témoin tous les incidents de la journée.

Archer avait pensé d’abord que ce détachement provenait d’un trouble secret ; mais les yeux clairs de la jeune mariée ne révélaient qu’une tranquille ignorance. Elle était seule, pour la première fois, avec son mari ; mais, de toute évidence, elle ne voyait encore en lui que le charmant camarade de la veille. Elle le préférait à tous, avait la plus grande confiance en lui, et pour elle le point culminant de la belle aventure des fiançailles et du mariage était de voyager seule avec lui comme