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tentés… Mais vous, vous compreniez ! Vous saviez comment la vie vous tire à elle avec ses mains tentatrices ; et pourtant vous haïssiez les concessions qu’elle suggère, vous haïssiez la jouissance achetée au prix du mensonge, de la cruauté, de l’indifférence ! Jamais je n’avais connu personne qui vous ressemblât, qui fût aussi loyal, aussi généreux.

Elle parlait d’une voix basse et égale, sans larmes ni agitation, et chaque mot tombait comme du plomb brûlant dans le cœur du jeune homme. Il se tenait courbé en avant, la tête dans les mains, les yeux fixés sur la pointe du soulier de satin qui dépassait la robe scintillante. Tout à coup il s’agenouilla et baisa le soulier.

Elle se pencha et plongea dans ses yeux un regard si profond qu’il en fut comme fasciné.

— Ne détruisons pas ce qui est votre œuvre ! sʼécria-t-elle. Je ne peux pas revenir aux manières de penser que j’avais avant vous. Je ne peux vous aimer, que si je renonce à vous…

Les bras de Newland se levaient, suppliants, mais elle s’éloigna doucement et ils se trouvèrent face à face, séparés par la distance que les paroles de la jeune femme avaient mise entre eux. Puis subitement la colère envahit Archer.

— Et Beaufort ? C’est sans doute lui qui va me remplacer auprès de vous ?

À peine avait-il prononcé ces paroles qu’il en eut honte. Mais son cœur était gonflé d’amertume, et il souhaita presque une réponse violente. Mme Olenska devint seulement un peu plus pâle et resta immobile, les bras pendants, la tête légèrement inclinée.

— Il vous attend maintenant chez Mrs Struthers. Pourquoi n’allez-vous pas le retrouver ? ricana Archer.

Elle alla tirer le cordon de la sonnette.

— Je ne sortirai pas ce soir. Dites à la voiture d’aller chercher la signora marchesa, dit-elle, quand la servante se présenta.

Quand la porte fut refermée, Archer continua à regarder Mme Olenska avec des yeux mauvais.

— Pourquoi ce sacrifice, puisque l’isolement vous pèse ? Je n’ai aucun droit de vous retenir loin de vos amis…

Elle sourit sous ses paupières humides.

— Je ne serai pas seule maintenant. J’étais seule ; j’avais peur ; mais le vide et l’obscurité se sont dissipés. Désormais,