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regard distrait. Ses gants et son éventail étaient près d’elle sur le canapé : elle les prit machinalement.

— Il faut que je m’en aille…

— Vous allez chez Mrs Struthers ?

— Oui.

Elle sourit et ajouta :

— Il faut bien que j’aille où l’on m’invite ; autrement, je serais trop seule. Ne voulez-vous pas mʼaccompagner ?

Archer ne répondit pas. Il sentit qu’à tout prix il devait la retenir, la forcer à lui consacrer la fin de sa soirée. Il s’appuya contre la cheminée, les yeux fixés sur les mains de la jeune femme, comme si son regard avait le pouvoir de leur faire lâcher les gants et l’éventail.

— May a deviné la vérité, dit-il. Il y a une autre femme, mais ce n’est pas celle qu’elle soupçonne…

Mme  Olenska ne répondit pas, ne bougea pas. Un moment après, Newland s’approcha, d’elle et, prenant sa main, la desserra doucement ; les gants et l’éventail tombèrent.

Elle se leva vivement et, se dégageant, alla de l’autre côté de la cheminée.

— Ah ! non, pas cela ! Ne me faites pas la cour ! On me l’a faite trop souvent, dit-elle en fronçant les sourcils.

Archer pâlit et se leva aussi : c’était la plus cruelle rebuffade qu’elle eût pu lui infliger.

— Il ne s’agit pas de vous faire la cour… La femme que j’aurais voulu épouser, si cela avait été possible, c’est vous !… Voilà.

Elle le regarda avec un étonnement profond.

— Et c’est vous qui dites cela, vous qui avez rendu la chose impossible ! s’écria-t-elle.

À son tour, il la regardait avec stupeur.

— Moi ? balbutia-t-il.

— Vous ! Vous ! Vous ! cria-t-elle, ses lèvres tremblantes comme celles d’un enfant prêt à fondre en larmes. N’est-ce pas vous qui m’avez fait renoncer à ce divorce ? C’est vous qui m’avez fait comprendre qu’on doit se sacrifier pour préserver la dignité du mariage, pour épargner à sa famille un scandale. Et parce que ma famille allait devenir la vôtre, pour May et pour vous j’ai fait ce que vous m’avez demandé, ce que vous m’avez affirmé que je devais faire !