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n’est nullement afin de rabaisser la valeur de la participation du Japon à la guerre contre l’Allemagne ; nous en apprécions hautement la portée morale. Il était naturel que le Japon ne prêtât à l’Entente qu’un concours limité, puisque ses intérêts étaient limités au Pacifique ; mais alors, on se demande pourquoi, lors des négociations de paix, la Belgique et la Roumanie furent réputées Puissances à intérêts limités et le Japon Puissance à intérêts généraux ?

Durant la guerre et pendant les négociations, toute l’habileté diplomatique du Gouvernement de Tokyo a pour objet de rester au Chan-Toung, de s’y établir définitivement. En 1915, le despote de la Chine, le fameux Yuan-Che-Kaï, souhaitait que son pays participât à la guerre aux côtés des Alliés ; à deux reprises il en fit la proposition que le Japon s’arrangea pour faire échouer, aux instances des ambassadeurs alliés le vicomte Ishii répondit nettement que « le Japon ne pouvait considérer sans anxiété l’organisation d’une forte armée chinoise telle que l’exigerait toute participation à la guerre, ni voir sans inquiétude la libération des activités économiques d’une nation de quatre cents millions d’habitants[1]. » Lorsque plus tard, en août 1917, la Chine pourra enfin déclarer la guerre à l’Allemagne, son entrée parmi les belligérants prendra les proportions d’un succès de la diplomatie des États-Unis sur celle du Japon. Il s’agit, pour les Japonais, d’éviter de faire droit aux réclamations de la Chine qui, invoquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, demandait que Kiao-Tchéou lui fût immédiatement rendu : l’occupation de ce morceau important du territoire chinois par les Allemands avait engendré déjà, disaient-ils, d’assez grands malheurs ; il était temps de revenir au sain principe, consacré par la diplomatie, de l’intégrité de l’Empire du Milieu. Les Japonais avaient d’abord laissé une partie de leur presse annoncer, sans précisions, que Kiao-Tchéou serait remis a la Chine après la guerre ; mais le ministère des Affaires étrangères déclarait n’avoir pris aucun engagement à ce sujet. Le Gouvernement de Tokyo alla plus loin. Le 18 janvier 1915, il adressait au Gouvernement chinois une série de demandes, qu’il présentait de nouveau, sous forme d’ultimatum, le 7 mai, par lesquelles la Chine aurait reconnu que le Japon n’avait aucune

  1. E. Hovelaque, le Japon, p. 307 (1 vol. in-16, 1921, Flammarion). — Du même auteur, dans la même collection, la Chine.