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dans le détail des points et des virgules. Mais, à peine M. Briand s’était-il rassis, qu’il se rencontrait, sur les confins de la délégation anglaise, des gens d’humeur un peu aigre qui murmuraient : « Pourquoi le Président du Conseil de France n’a-t-il rien dit, dans son discours, des pertes qu’a subies l’Empire britannique? Est-ce intentionnellement qu’il n’a fait aucune allusion aux sacrifices que nous avons consentis à la cause commune? Que signifie cet oubli? D’où vient cette ingratitude? » Et aussitôt des journaux à grand tirage, tels que le Manchester Guardian, commentaient les dépêches qui attribuaient à M. Briand un silence volontaire et calculé.

Dès que fut serrée d’un peu près la question du désarmement naval, M. Briand, comme M. Balfour, comme M. Schanzer, comme l’amiral Kato, précisa son point de vue; et immédiatement le bruit se répandit que la France réclamait, tout à la fois, le même tonnage de cuirassés que le Japon et le même tonnage de sous-marins que les États-Unis. Il n’en fallut pas davantage pour que « my dear Wells » imaginât une nouvelle guerre des mondes et télégraphiât au Daily Mail, dont il était le correspondant occasionnel, que la France méditait je ne sais quelle folle agression contre l’Angleterre. Le Daily Mail a vite fait justice de cette conception romanesque ; mais ce n’était pas dans le fécond cerveau de M. Wells qu’elle était née ; il n’avait fait que donner une forme un peu aiguë à de sottes accusations qu’il avait ramassées dans le public bourdonnant et frivole de la Conférence. J’allais écrire, et je m’en excuse, le public de la Cour d’assises de Versailles. A la vérité, la justice et la diplomatie sont aujourd’hui victimes des mêmes mœurs, et, s’il n’y est pas mis bon ordre, elles perdront vite, l’une et l’autre, leur réputation et leur crédit.

L’information transmise par Wells pâlit, du reste, à côté de quelques autres. L’Angleterre a été prévenue par d’autres de ses reporters que M. Briand s’était moqué de la flotte britannique. Il avait tenu, affirmait-on, des propos irrévérencieux, tels que ceux-ci : « C’est pour pêcher la sardine que l’on construit des cuirassés ; c’est pour observer la flore sous-marine qu’on fabrique des submersibles. » Comme l’a très sensément remarqué le 7ïmes, si M. Briand avait, dans une conversation, laissé échappé cette facétie, il ne serait pas très répréhensible, et il n’y pas de loi qui interdise, même à un premier ministre, de se divertir un instant. Mais avouons, tout de même, que le monde prêterait moins d’attention aux plaisanteries d’un diplomate de profession et serait surtout moins disposé à lui attribuer des railleries imaginaires. Il est bien possible que M. Jules Cambon, lui aussi,