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particulière pour parler au nom de notre peuple. Sa démarche prenait, vis-à-vis des États-Unis, le caractère d’un témoignage exceptionnel d’estime et d’amitié. Les qualités personnelles du Président du Conseil, son merveilleux talent oratoire, son charme, sa bonne grâce, ajoutaient beaucoup à ses moyens d’action. Mais, d’autre part, il se trouvait transporté tout à coup, avec une nuée de collaborateurs hétérogènes, dans un pays qu’il ne connaissait, comme nous tous, que très imparfaitement et dont il ne parlait pas la langue; et devenant, par ses fonctions comme par sa réputation, le point de mire des nouvellistes des deux mondes, il était fatalement exposé à ce qu’on dénaturât ses paroles et à ce qu’on travestît sa pensée.

M. Briand a tiré de cette situation difficile le moins mauvais parti possible. Il a commencé par donner, au nom de la France, une adhésion de principe à l’idée de la limitation des armements navals. Il s’est déclaré prêt à faire un effort proportionné à celui de tous nos alliés. Il a toutefois rappelé que la France a un immense développement de frontières maritimes, un grand nombre de colonies lointaines, soixante millions de sujets répandus à travers le monde, et qu’elle a besoin de pouvoir librement transporter, d’une rive à l’autre de la Méditerranée, ses troupes tunisiennes, algériennes, marocaines et soudanaises. Sous cette réserve, la France est prête à réduire sa flotte. Les bâtiments allemands sont sous l’eau. Il n’y a plus sur mer que des flottes alliées, associées ou amies. Nous ne voulons donc pas nous jeter en travers d’un accord général.

Mais, sur terre, les choses vont autrement, et M. Briand n’a pas eu de peine à montrer que l’Allemagne était malheureusement loin d’être désarmée. Encore ne connaissait-il pas, lorsqu’il était à Washington, les dernières découvertes de la commission présidée par le général Noblet et le tableau qu’il a présenté, si saisissant qu’il fût, n’était pas complet. La maîtrise avec laquelle le Président du Conseil a plaidé la cause de la France n’en a pas moins produit une profonde impression sur la Conférence et c’est sans exagération qu’il a pu dire à son retour : « Quand je suis parti, j’ai trouvé dissipées les présomptions et les erreurs qu’une mauvaise propagande avait glissées dans certains esprits. » Elles ont été dissipées, en effet, par le prestige de l’éloquence, mais elles se sont en partie reformées, dès que se sont calmés les applaudissements ; et, une fois de plus, il nous a été donné de mesurer les inconvénients des nouvelles méthodes diplomatiques, dont MM. Gauvain, Lautier, Jacques Bardoux, ont si souvent, comme moi-même, réclamé l’abandon.