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Cependant l’amiral Beatty a croisé les bras. Ses sourcils lins, tout arqués maintenant, se rejoignent, son regard est menaçant. Parmi les autres marins britanniques, la plupart sont impassibles. Quelques-uns se regardent. Plusieurs semblent sourire.

La prodigieuse hécatombe est maintenant terminée. De sa même voix ferme, implacable, M. Hughes conclut : « En acceptant ce programme, nous supprimerons le fardeau de la compétition des armements; un immense progrès aura été accompli pour le progrès de la civilisation. Simultanément les justes demandes de défense nationale auront reçu une juste solution. Et les nations auront tout le temps, pendant le congé naval de dix années, de préparer leur conduite pour l’avenir. Les préparatifs pour une guerre navale d’offensive doivent être arrêtés maintenant. » L’étonnement qui subsiste est tel que les applaudissements sont comme mécaniques sur la plupart des rangs, frénétiques pourtant de la part de quelques pacifistes notoires parmi lesquels se distingue radieux, comme illuminé, l’ancien secrétaire d’Etat, M. Bryan.

On n’est pas encore revenu de l’étonnement causé par cette incroyable offensive de paix que les sénateurs, qui tiennent à montrer que le Congrès américain garde son droit de contrôle ici et peut exprimer quand il lui plaît ses sympathies et son estime, clament d’abord une syllabe, un mot singulier, un nom: « Bréand! Bréand! » Le Président du Conseil n’a pas d’abord entendu. L’interprète se lève, lui parle à l’oreille. Il sourit, se lève. Une manifestation magnifique, spontanée, émouvante a lieu. Toute la salle est debout. On applaudit. On acclame. M. Briand attend. Les applaudissements se prolongent. C’est l’expression de l’estime des représentants de tous les États de l’Union à l’envoyé de la France. C’est la « délicieuse amitié » de tout le peuple américain pour la France qui se plait à se manifester et qui ne veut plus finir.

Enfin M. Briand peut parler. Dans l’un de ces discours improvisés, d’une forme et d’une harmonie parfaites, dont il a le secret, le ton de voix mesuré à l’exiguïté de la salle et à la qualité du public, se gardant des banalités dans un thème si souvent repris, il parle des liens traditionnels qui unissent les deux pays, il dit la bonne volonté de la France dans les prochains travaux de la Conférence, les vœux de la France pour le succès final.