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l’Empire des Tsars ; les Russes sont les seuls qui aient l’avantage de s’approcher de la Chine par les routes terrestres de la Sibérie et de l’Asie centrale et de lui paraître moins étrangers que les « diables de la mer, » Portugais jadis, Anglais, Français, Américains et autres au XIXe siècle. Jusqu’à 1894, il s’agit tout simplement d’engager ou d’obliger l’Empire chinois à s’ouvrir au commerce et à la pénétration des Européens ; on emploie la diplomatie et, quand elle ne suffit pas, le canon (prise de Pékin par les Anglo-Français, 1860). Les commerçants d’Europe s’accrochent aux lianes de la Chine ; ils obtiennent des concessions (Chang-haï, Tien-tsin, etc.) où ils jouissent des privilèges de l’exterritorialité. Les missionnaires, catholiques et protestants, pénètrent dans les provinces ; les premiers sont placés, par les traités internationaux, et en vertu des instructions du Saint-Siège, sous la haute protection de la France.

Mais, à partir de 1894, le drame se complique par l’entrée en scène d’un personnage nouveau qui devient du premier coup un protagoniste. Le Japon, depuis le commencement de l’ère de Meiji (1868), a complètement renouvelé les formes extérieures de sa vie politique, économique et morale ; il s’est européanisé ; il a créé la grande industrie et ouvert ses portes au commerce étranger. Il a adopté les outils et les armes de la civilisation occidentale, sans pour cela modifier les caractères profonds de son âme nationale. Il a une population nombreuse, prolifique et pauvre, qui vit de riz et de poisson et qui a besoin des pêcheries de la mer d’Okhotsk, des riz de Corée et de Chine. En 1894, une querelle éclate entre le Gouvernement de Pékin et celui de Tokyo à propos de la Corée qui faisait partie de l’Empire chinois comme État tributaire. La petite escadre japonaise de l’amiral Ito détruit les bâtiments cuirassés de la flotte chinoise au grand scandale des Anglais qui donnaient aux Chinois un appui moral à peine déguisé (bataille du Yalou, 25 juillet 1894) ; l’armée du maréchal Yamagata, débarquée en Mandchourie, bouscule les forces chinoises et marche sur Pékin. La Chine vaincue signe la paix. Par le traité de Shimonosaki (17 avril 1895), le Japon annexe la grande île de Formose et les Pescadores, obtient le protectorat de la Corée et la cession de la péninsule du Liao-Toung avec Port-Arthur et Talien-wan ; plus une indemnité de trois cents millions de yens.

Par la révélation de la force du Japon et de la faiblesse de la