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imagination est celle du logicien beaucoup plus que celle du poète : elle est essentiellement constructive. Il a montré l’une et l’autre dans son livre considéré comme essentiel en jurisprudence : la Loi organique des Philippines. En ce livre comme en tous ses ouvrages, il a toujours professé « qu’un sentiment bienveillant et un traitement juste étaient la seule base solide sur laquelle pussent se fonder des relations harmonieuses entre les nations. » Il tint souvent tête à tout son parti, pour faire prévaloir ce principe. M. Root est homme d’esprit. Il se plait à conter une anecdote et excelle à mettre de l’entrain dans une réception, dans un dîner officiel même. Son esprit est souvent si rapide qu’il n’a pas toujours le temps d’être bienveillant. Depuis le mois d’août 1914 et sans cesse, il s’est dévoué à la cause des Alliés et a employé tous ses efforts à renverser l’autocratie allemande. De tous les délégués américains, M. Elihu Root est le plus sûr, capable et sincère ami de la France.

Dans le fauteuil qui lui fait face, le front relevé et plissé, le sénateur Lodge est écroulé plutôt qu’assis. Le regard las, le geste désabusé, la parole à l’ordinaire lente et qui se nuance d’ironie avec ses collègues et ses pairs, de sarcasme avec ses adversaires, ou bien qui s’élève brusquement au ton de la colère devant un contradicteur politique ou au Sénat où il est chez lui; mince jusqu’à la maigreur, la barbe et les cheveux blancs, courts, frisés, le teint blanc, avec, répandu sur toute sa personne, ce grand air de lassitude et de mépris qui accompagne assez généralement, chez les politiciens âgés, une connaissance exacte de soi-même et des hommes, le leader républicain compte, dans tous les milieux de Washington, d’innombrables relations, quelques anciens camarades et, par son choix, peu d’amis. De lui, comme des grands politiques, on peut douter parfois qu’il ait une politique. Sa manière de conduire une intrigue, d’opposer les groupes d’un parti pour se glisser entre eux ou pour qu’ils s’affaiblissent, de trouver l’expédient au moment opportun et pour changer une défaite réelle en apparente victoire, commande toujours l’estime. Son peu d’affection pour l’Angleterre a souvent souligné son apparence d’affection pour la France. De haute culture littéraire, d’un goût sûr, prompt à se souvenir, habile à conter, il est connu pour ses épigrammes ou ses boutades.

L’un de ses collègues du Sénat disait un jour devant lui :