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pluie, du soleil et du gel, agents dévastateurs quand les choses souffrent, il les a dépouillés de leur écorce, pénétrés, desséchés jusqu’au cœur... C’est un de ceux-là que les hommes sont venus chercher. Ils savent qu’il remplira son office, qu’il tiendra le feu vingt-quatre heures : rendant assez de flamme pour maintenir une chaleur continue autour de la daube, abandonnant assez de charbons pour lui faire une ceinture renouvelée de braises vives. De là, un point de résistance et de sécheresse que certains escos présentent seuls. On scie l’arbre trouvé au ras du sol. On l’abat. On arase à la hache les nodosités, on coupe les derniers rejets, décharnés comme des bras rongés, et on le charge sur des essieux découplés, attelés d’une paire de bœufs. Les bêtes et les roues sont venues au bois avec les hommes. Des cordes pendent au joug. On en lie le tronc sur les essieux. Et l’on s’ébranle vers la maison. On va, et le long des chemins de terre inégaux, où l’humidité s’étend avec l’ombre, tout cela cahote et grince, tandis que les jeunes gens, l’aiguillon en travers sur l’épaule, sifflent pour égayer et pour soulager les bœufs qui pèsent de tout leur front. A la maison, on le décharge. On le roule vers la cuisine. Il passe la porte en long, sur de petits billons glissés sous lui, et le voici dans l’âtre à grand rendort de leviers. Et là il s’assied, il occupe la place en sursautant, il secoue les landiers qui se raidissent pour ne point plier, il se carre enfin contre la plaque du fond. La plaque, sous la pesée brutale, rend un long, un sourd murmure...

La bûche assise, on soupe rapidement, sobrement, de restes froids de midi, rien que pour couper la faim. Et l’on court chercher des sarments, on les distribue sous l’arbre, on y boute le feu. Celui-ci prend en un moment : il éclate, il atteint le tronc, il s’y écrase, et s’ouvre, et se divise, tâte le bois énorme, s’élance, l’enveloppe de flammes hautes, d’ardentes langues instantanées, et de place en place l’allume, se met à le dévorer. Et puis toute cette ardeur tombe. Le souc brûle seul, parcouru de courtes lueurs bleues, tandis qu’un rien de fumée monte vers l’air libre. Parfois l’arbre pousse un soupir, et se fend sous cette suprême épreuve... La daoune alors apporte la daube. Lentement, respectueusement. On se range pour la laisser passer. Elle est portée dans un pot de terre, haut sur : fond, large de bouche, dont la paroi épaisse la défendra contre le coup de feu possible. Il y a là un quartier de choix, veiné de