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pense de l’ouvrage de Michelet[1]. Eh bien! il a beaucoup d’esprit, une imagination de style quelquefois très heureuse, des détails rendus avec force, comme par exemple les terreurs de l’an 1000 ; mais il n’a point d’ordre, pas de sens, pas de vérité. Il généralise à perte de vue un petit fait parfois inexact ; il crée des races, telle que la race celto-hellénique ; il exagère tout. Il jette dans l’histoire des lambeaux de métaphysique allemande, des rêvasseries mystiques qui sont l’antipathie de l’histoire ; il n’a aucune vue politique et il est fou en architecture et cependant il a beaucoup de talent, il colore vivement, il a de la grâce et du feu. Mais tout cela ne suffit pas pour l’œuvre historique, et voilà pourquoi j’admire tant la Conquête des Normands, les Lettres sur l’Histoire de France et tout ce que tu fais. »

De si hauts témoignages auxquels s’ajoutent ceux de Mignet, de Guizot, de Patin, de Sainte-Beuve[2], raffermissaient la décision d’Augustin Thierry et le sauvaient du découragement. Par malheur, le livre qu’on lui réclamait n’était pas prêt et de longs mois s’écouleraient sans doute avant qu’il le fût. Alors, toujours dans cette même pensée de protestation contre la méthode et les procédés de la nouvelle école symbolique, il résolut de réunir et publier ses écrits de jeunesse, jusque-là dispersés en différents recueils.

A les donner dans leur intégralité, ils excédaient la matière d’un seul volume, et l’intention primitive de l’écrivain fut en effet de les séparer en deux tomes : le premier intitulé Mélanges historiques ; le second Mélanges politiques et littéraires. Ce dernier devait comprendre la succession des articles envoyés de 1817 à 1820 au Censeur européen et au Courrier français sur les sujets les plus divers : toute son œuvre journalistique, en un mot, étrangère à l’histoire. Il devait être précédé d’un

  1. Le IIe volume de l’Histoire de France (La France féodale).
  2. Ce dernier écrit, à la date du 11 avril 1834 :
    « J’ai éprouvé bien des fois dans ces dernières années le regret de n’avoir pas fait et cultivé votre connaissance. Vos livres m’ont appris tant de choses et ont ouvert à moi et à tous les hommes de cet âge tant de perspectives nouvelles et inattendues qu’ils ont dû faire naître une grande reconnaissance pour l’auteur, augmentée encore de tout ce qui s’est ajouté de douloureux et d’attachant dans sa destinée.
    « Avec quel intérêt mêlé d’admiration, n’ai-je pas lu et n’avons-nous pas lu tous ces dernières Lettres sur la race mérovingienne, peintures si neuves et si fermes d’une réalité retrouvée et qu’anime un souffle contenu ! »