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Cependant le temps s’écoule. Encore une fois, Guizot paraît avoir oublié ses promesses. Bien plus, Augustin Thierry apprend que le poste universitaire sur lequel il compte, vient d’être attribué à un autre. Sa juste indignation éclate dans une lettre véhémente adressée à Villemain :

« Lorsque j’ai reçu ta dernière lettre si aimable pour moi, je venais de voir dans les journaux l’annonce de cette vacance qui devait être amenée en ma faveur. Tu disais que tu allais poser la question de mon entrée dans l’Université. Je croyais, pour cette fois, être au bout de ma longue attente, et, huit jours après, les journaux m’apprennent que la place est donnée à un autre. Il n’y a pas, non, il n’y a pas de solliciteur importun qui ait été promené d’espérances en désappointements, plus que je ne le suis depuis quinze mois. Est-ce là mon rôle? Si M. Guizot n’ose plus ce qu’il voulait encore au mois de décembre, rappelle-lui qu’il y a une chose qu’on me doit et qu’on peut me donner, le maximum des pensions littéraires. Je le demande et je ne cesserai de le demander. Reste à savoir si ce sont des amis ou des étrangers qui me l’accorderont !... Assez sur ce triste sujet ! J’ai bien de l’amertume dans le cœur, et je crains qu’elle ne déborde[1]. »

Un mois après, la discussion du projet de loi sur l’ancienne liste civile le plonge en des alarmes nouvelles. Il est question de supprimer les pensions littéraires qui figurent sur cette liste et la sienne par conséquent. Le projet adopté, c’est pour lui la misère toute nue. Il lance à Villemain un suprême appel :

« Est-ce que mes amis regardent le titre d’inspecteur de l’Académie comme trop éminent pour moi? Si j’avais prévu un pareil avenir, j’aurais un peu plus ménagé mes yeux. J’avais espéré jusqu’à ce moment conserver au moins un lambeau de ma pension sur la liste civile. Ces cinq cents francs sont peu de chose, mais c’est le salaire du domestique sans lequel je ne puis me transporter d’une chambre à l’autre.

« En serai-je donc réduit à me faire délivrer par mon frère un certificat d’indigence ? Ce serait une dérision et une honte pour nous deux... Je suis bien découragé. J’ai beau montrer ce que je sais faire en histoire, le zèle pour moi n’en devient pas plus chaud. C’est une barque pourrie qui a noyé son maître. Si

  1. Vesoul, 19 janvier 1831.