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parle, je lui dis qu’il plaisante, et, à mon avis, un pareil prétexte ne serait qu’une plaisanterie. Fauriel n’était pas agrégé, il n’était même pas bachelier ès lettres, lorsque M. de Broglie, bien autrement à cheval que M. Guizot sur les règlements universitaires, l’a nommé professeur de Faculté. Ce qui a été possible pour l’un ne l’est-il pas pour l’autre? Et du reste, si l’on y tenait absolument, je pourrais me présenter aux épreuves de l’agrégation. Il serait curieux de voir siéger là un membre de l’Institut !

« Sérieusement, mon cher ami, je te prie de rappeler à M. Guizot, et avec toute la chaleur de cœur dont tu es capable, les promesses réitérées et l’état d’angoisse continuelle où me met cette longue incertitude. Rien n’est plus précaire que ma situation. Si mon frère changeait de résidence, je ne le suivrais pas, et faute de pouvoir habiter Paris, je serais forcé de m’enterrer dans le village de Luxeuil, où je suis maintenant à prendre les eaux. Voilà, si vous m’oubliez, quelle est ma seule perspective, voilà le brillant avenir qui me récompensera de mes travaux. A part toutes les considérations d’amitié, en ne regardant que les intérêts de la science que, comme chefs de l’Instruction publique, vous devez avoir en vue, crois-tu que ma présence à Paris serait inutile aux études historiques. Elles sont tombées au plus bas par votre retraite à tous, et, si vous avez un reste d’amour pour elle, vous me ferez une position telle que je puisse employer ce qui me reste de forces à conserver nos traditions qui se perdent, à sauvegarder la méthode et le style en histoire. Tu verras ce que je puis faire encore par l’article que j’ai envoyé à la Revue des Deux Mondes[1]. J’avais entrepris bien autre chose que cette série de morceaux détachés. Mais après deux ans de recherches, j’ai senti qu’un grand ouvrage ne pouvait se rédiger en province, j’ai renoncé à ma grande histoire des Invasions germaniques, et je me suis mis à écrire de nouvelles Lettres sur l’histoire de France. C’est un travail de désespoir, et mon éloignement de Paris me condamne à ne rien faire de mieux : le public saura pourquoi.

« Si, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, l’Université me repousse, M. Guizot a le pouvoir de me ramener à Paris, en m’accordant le maximum des pensions littéraires[2] ; pour cela, il n’a qu’à prendre conseil de lui-même et de la justice. »

  1. Les Enfants de Clother Ier, publié dans cette Revue le 1er août 1833.
  2. Par arrêté en date du 18 mai 1833, l’indemnité annuelle primitivement accordée le 7 septembre 1830 à Augustin Thierry avait été portée de 2 000 à 3 200 francs. Toutefois, Guizot n’était pour rien dans cette augmentation due aux amicales instances de Mignet. Les douze cents francs supplémentaires furent en effet prélevés d’abord sur les fonds du Ministère des Affaires étrangères.