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enfin vaut mieux qu’une attente sans résultat. Au reste, mon cher ami, quand tu parles de tes amis au pouvoir, ne songe pas à moi. Je n’y suis pas, Dieu merci J’ai le travail fatigant et peu distrayant d’une place administrative[1] ; je parle quelquefois à la Chambre des Pairs, où je te remercie de m’avoir remarqué, mais je n’ai aucun crédit, aucune puissance pour obliger un peu en grand mes amis.

« Mon cher ami, ta mélancolie m’afflige, ne renonce pas à tes travaux, tourne un peu tes pensées vers l’avenir. Tu as fait un ouvrage admirable et tu peux encore travailler. Entreprends quelque chose qui ne soit pas trop étendu, pas de haute mer, suis la côte, décris ce que tu voudras, mais avec cette expression vive et profonde, ce vrai passionné qui t’appartient. Ecris la vie d’Attila, d’Alaric, le christianisme des Gaules, la chute de l’Empire d’Occident, tout ce qu’il te plaira. Sois sûr d’être intéressant et lu. Si tu ne t’ennuies pas de dicter pour moi, réponds-moi, excite mon zèle, fais-moi honte de n’avoir encore rien obtenu et crois-moi ton bien dévoué, par invariable amitié, comme par respect de ton rare[2] talent beaucoup plus inaccessible que la pairie.

« VILLEMAIN. »


Un semestre encore d’attente vaine, d’énervement croissant. L’ « arrangement » annoncé tout proche n’est pas encore intervenu. A force d’y réfléchir, Augustin Thierry croit avoir débrouillé l’énigme, trouvé la raison puérile pour laquelle les portes de l’Université restent closes devant lui. Il n’est pas agrégé et connaît l’esprit formaliste de Guizot, rigide observateur de tous les règlements. Qu’à cela ne tienne ! Non sans ironie, il se déclare prêt, s’il le faut, à subir les épreuves du concours et précise en même temps les raisons qui font une nécessité de son retour à Paris.

« S’il est devenu impossible de faire pour moi ce qui était formellement projeté, il y a un an, dis-moi quelle est la cause de cette impossibilité[3]. Mon frère croit que tous les obstacles viennent de ce que je ne suis pas agrégé, mais, lorsqu’il m’en

  1. La vice-présidence du Conseil royal de l’Université à laquelle il avait été appelé dès le 14 août 1830.
  2. Souligné dans le texte.
  3. A Villemain : Luxeuil, 31 août 1833.