Lors des réceptions officielles, Mme Augustin Thierry aidait à faire les honneurs son beau-frère demeuré garçon[1].
Augustin Thierry n’y paraissait que rarement, retenu à la chambre par son misérable état de souffrance. Elles aussi, les eaux de Luxeuil s’étaient montrées inefficaces. Pour cette année 1832, je lis en effet dans son Journal de Santé[2] : « Il ne peut marcher sans être soutenu sous les deux bras. Après quelques minutes de marche, il est averti de s’arrêter par un battement de cœur. Cette disposition est surtout remarquable dans les promenades qu’il essaie après les repas. Il éprouve des symptômes de suffocation durant les grandes chaleurs et de temps en temps, lorsque sa chambre est trop chaude ou qu’il s’imagine qu’elle doit être telle. L’imagination et la préoccupation sont pour beaucoup dans ces accidents. »
De graves préoccupations, en effet, matérielles et morales, achevaient d’épuiser ce corps miné par la maladie, troublaient la sérénité consentie de ce puissant cerveau. Il était arrivé dans la Haute-Saône, hanté du grand dessein entrevu naguère, rêvant toujours d’écrire l’Histoire des Invasions Germaniques, introduction et complément, dans sa pensée, de ses ouvrages précédents. Sur sa demande, Amédée Thierry avait fait fouiller les archives, les bibliothèques publiques de Vesoul et de Besançon. Recherches vaines qui n’avaient donné aucun résultat, mis à jour nul document utile. L’historien désabusé, s’était rendu compte qu’un si grand monument ne pouvait, faute de ressources, s’édifier en province. Il lui fallait retourner à Paris et les moyens lui manquaient pour s’y établir, si modestement que ce fût.
Sans fortune, l’amiral de Quérangal n’avait pu donner aucune dot à sa fille et ses droits d’auteur aux revenus aléatoires constituaient les seules ressources de l’écrivain. Sa pension sur la liste civile avait disparu dans la tourmente de Juillet et, pour comble d’infortune, l’indemnité annuelle de 2 000 francs accordée par Guizot avait cessé d’être payée après son départ du ministère.
- ↑ Il épousera quelques années plus tard, en 1839, Mlle Gabrielle Breschet, fille du chirurgien, professeur a la Faculté, membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie de Médecine (1784-1845).
- ↑ Ce Journal de santé, rédigé avec le plus grand soin, à partir de 1844, par le secrétaire et médecin d’Augustin Thierry, le docteur Gabriel Graugnard, fournit également, pour les années qui précèdent, de précieuses indications auxquelles il a déjà été recouru dans ce récit.