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fils d’une race épuisée, trouve encore le moyen de demander en mourant qu’une voix de femme chante auprès de son lit les vieilles chansons de France.

Vieilles chansons… Il en est une que Paul Arène a reprise, il en est une qui exprime en toute son ampleur grave et souriante l’âme provençale en ce qu’elle a de plus tendre et de plus subtil :


Lou vieivonge plouro…
Nautri cantavian…
Cantavian Marsiho
Que sus un pont nòu,
lè souleio e plòu,
lè plòu e souleio !


« La vieillesse pleure. — Et nous, nous chantions, — nous chantions Marseille, — où sur un pont neuf, — il pleut et soleille, — il soleille et pleut… » Plòu e souleio !… Pluie et soleil !… Oui, c’est bien cela, c’est bien la pluie printanière où le soleil allume tout à coup des perles incomparables, dont chacune est un prisme où se décompose et s’irise son sourire, c’est bien le péchère naïf, le pécaire qui plaint le pécheur plutôt qu’il ne le blâme, le péchère attendri et souriant parfois, cri d’une race dont la bonté populaire s’est un peu durcie peut-être au contact rude de la vie moderne, mais subsiste tout de même au tréfonds de la conscience.

Parmi tous les charmes de la poésie de Rostand, je crois qu’à celui-ci on ne peut guère résister ; c’est en somme celui que l’on trouve déjà dans les romans de Daudet, et l’on conçoit alors avec quelle juste raison Rostand aima Daudet, dont la sensibilité est si proche de la sienne, parce qu’elle procède du même pays.

Car on a bien pu comparer le privilège de Daudet à celui de Dickens ou de Henri Heine, mais la comparaison est tout artificielle ; il y a de l’amertume dans le rire de Dickens, il y a de l’ironie acre dans celui de Heine. Mais dans celui de Daudet, il n’y a que l’attendrissement d’une âme méridionale et mobile, qui cède avec une enfantine facilité à la tristesse comme à la joie et passe aisément de l’une à l’autre. Et de même dans celui de Rostand. Il l’avait bien senti lui-même à l’âge où l’on s’analyse et s’étudie ; alors il s’était comparé justement au