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Où les lèvres, souvent, n’ont pas à se répondre,
Tant la vie et l’amour viennent à se confondre !...
Harmonieuse entente, échange continu
Où, quand les corps heureux se sont appartenu,
Lentement, longuement, les âmes se caressent !...
Qu’ils sont à plaindre ceux dont les désirs se pressent
Et qui parfois, en hâte, ardemment apaisés,
N’ont goûté du bonheur que de furtifs baisers !...
Ils n’ont jamais été les deux maîtres de l’heure...
Ils ont connu trop tard que le passé se pleure,
Et maintenant, dans l’ombre, à jamais défendu,
Ils font en vain le tour du paradis perdu,
Sans voir, à leur appel, s’ouvrir les portes closes
Du jardin où fleurit l’humble bouquet de roses
Qu’ils auraient pu cueillir, qui renaît chaque jour
Pour ceux qui, d’un cœur simple, aiment un seul amour.


III. SOIR SUR L’ÉTANG


L’adieu du jour s’attarde au clair miroir tremblant
De l’étang qu’une brise imperceptible moire.
D’un coup d’aile qui plonge, une hirondelle noire
Passe en furtifs éclairs où luit son ventre blanc.

L’or léger du soleil peu à peu devient rose;
Le vert des châtaigniers prend des tons de velours,
Et, tandis qu’un par un s’en vont des corbeaux lourds,
Un vol de sansonnets à l’horizon se pose.

Une abeille en retard tournoie, ivre de miel,
Puis retombe au cœur d’une rose qui s’incline.
Des fils errants de transparente mousseline
Semblent vouloir tisser un voile sur le ciel.

L’air tout à coup fraîchit; l’heure obscure est prochaine.
Un suprême rayon s’allonge sur les eaux;
Les cygnes, lentement, regagnent les roseaux;
D’un bateau qu’on rattache il monte un bruit de chaîne.