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ne coûtèrent pas moins de 43 000 livres (qui feraient un demi-million de notre monnaie). Connaissant les goûts de son maître et protecteur, Molière s’ingénia donc à coudre des ballets à ses pièces, même quand « quelques endroits du ballot n’unirent pas dans la comédie aussi naturellement que d’autres. » Ce que Molière avait fait, moins en auteur dramatique qu’en entrepreneur de spectacle, désireux de plaire à tout prix au public de la cour, la Comédie était-elle tenue de le faire, deux siècles et demi plus tard? Au surplus, il faut remarquer que si Molière lui-même avait conservé sur son théâtre tels divertissements propres à embellir la pièce (ceux des Fâcheux par exemple), en revanche, estimant sans doute qu’ils alourdissaient la marche de l’œuvre, il en avait supprimé certains autres (ceux de George Dandin), quand il avait transporté l’œuvre de Versailles à Paris. Pour ceux-là, il est clair que la Comédie n’était nullement tenue de les restituer. Il fallait se demander enfin si certains d’entre eux n’avaient pas été conservés du vivant de l’auteur moins pour leur utilité que pour leur agrément, pour piquer la curiosité des spectateurs et attirer au Palais-Royal un public émerveillé par les pièces à machines de la troupe du Marais.

Prenons le Malade imaginaire qui comporte un prologue, des entrées de ballets et trois grands intermèdes, dont Charpentier écrivit la musique après la brouille de Molière et Lulli. Il est hors de doute que si le dernier divertissement (la Cérémonie) entre tout naturellement dans la comédie, si le second peut encore s’y ajuster vaille que vaille, grâce à une phrase de Béralde « Ce sont des Égyptiens vêtus en Mores qui font des danses mêlées de chansons où je suis sûr que vous prendrez plaisir, et cela vaudra bien une ordonnance de M. Purgon », le premier intermède (Polichinelle et les Archers) et le prologue, avec son églogue en musique, n’ont aucun rapport, même lointain, avec la pièce. Il y a quelques années, dans une pensée pieuse de reconstitution, l’Odéon nous offrait une représentation du Malade imaginaire avec ballets et divertissements. Ce fut là un de ces spectacles magnifiques que le goût de M. Antoine se plaisait à composer. Je ne jurerais pas cependant que la comédie ne souffrit pas de l’adjonction de tous ces chants et de ces danses, et que le spectateur n’eût pas quelque peine à rassembler par la pensée les divers actes de la pièce (disjecti membra poetæ) ainsi morcelée. C’est en souvenir de cette