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par Molière, quand le mouvement d’une scène a été fixé, quand un costume a été composé par lui, comment se permettre de modifier quoi que ce soit au décor, au jeu de l’acteur, ou à son vêtement? Mais, du moins, la tradition à laquelle on prétend se conformer est-elle authentique, certaine? En toute sincérité, je le crois en tant qu’elle concerne Molière. Ses grandes comédies n’ont jamais cessé d’être jouées. Il n’y a pas d’année où le Misanthrope, Tartuffe, l’Avare n’aient été affichés, ou du moins, il ne s’est jamais écoulé plus de deux ou trois ans, sans que les comédiens aient « remis » ces œuvres. En outre, des familles d’acteurs ont perpétué la tradition. M. Jules Couet, l’éminent archiviste de la Comédie-Française, a pu établir une liste précise de ces généalogies. Par exemple, celles des Baron, des La Thorillière, des Poisson. Baron, élève de Molière, ne mourut qu’en 1729. Il avait épousé une fille de La Thorillière, et son petit-fils François Baron (mort en 1778), a été sociétaire de 1741 à 1754; ses deux petites-filles, Mlle des Brosses et Mlle de la Traverse, furent également sociétaires. Le fils de Poisson, Paul, vécut jusqu’en 1735; il avait épousé une fille de Du Croisy, et leur fils, Arnould, appartint à la Comédie de 1722 à 1753. Préville, Dazincourt, Dugazon, Molé, Monvel et sa fille Mlle Mars, assurent ensuite la continuité de la tradition, dont ils passent les secrets à Régnier, Samson, Provost, Dalaunay. Got, qui les transmettent à leur tour à MM. Silvain, de Féraudy, Georges Berr, Raphaël Duflos, Truffier, etc..

Une longue chaîne aux anneaux serrés unit les créateurs des rôles à ceux qui les jouent aujourd’hui. Ce nous est presque une garantie que la pensée de l’auteur n’a pas dû subir, au cours des âges, de déformations profondes. Si un comédien de valeur a modifié par hasard, selon son tempérament et son talent propre, la physionomie de tel ou tel personnage, il est vraisemblable ou qu’il a ajouté à cette figure un trait utile à conserver, ou que, s’il l’a dénaturée, la tradition a eu vite fait de lui restituer l’expression primitive, que Molière lui avait donnée.

Voilà pour le jeu des acteurs, sur lequel nous sommes encore renseignés d’ailleurs par des lettres ou par maints articles de critique. Mais nous avons d’autres sources d’information. Nous savons (par documents datant du milieu du XVIIIe siècle), la durée des pièces, et comme à ce moment la tradition de Molière