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On ne peut imaginer, en effet, un mode de tenure et d’exploitation plus contraire aux lois agronomiques, moins propice au développement de l’énergie et de l’initiative individuelles. Dissoudre la communauté de biens, organiser le partage de la terre entre les associés, constituer ainsi peu à peu une sorte de tiers-état paysan, tel fut le programme de Slolypine. Jusqu’alors, les champions de l’autocratisme avaient toujours vu dans le mir un dogme intangible, un rempart contre la révolution, une des assises historiques de l’ordre social. La tourmente agraire de 1905 ruina cette doctrine. Mais le principe de l’indivision, sur lequel est fondé le mir, a enraciné depuis des siècles, chez le paysan, la conviction que la terre n’appartient à personne, ou plutôt que Dieu la réserve à ceux qui la cultivent. De plus, l’égalité des lots et les partages périodiques entre les membres du mir ont fait continuellement sentir au moujik l’insuffisance des nadiels qui lui sont alloués ; d’où la conclusion que l’État a le devoir d’accroître leur superficie par le rachat forcé des terres seigneuriales, sinon même par un prélèvement sur les domaines de l’Église et de la Couronne. On devine le parti que les chefs du socialisme agraire, les Tchernow, les Lénine, les Rojkow, les Kérensky, savent tirer de ces conceptions. Si le cours des événements et l’issue de la guerre permettent d’appliquer la réforme de 1906 pendant une dizaine d’années encore ; si la situation financière de la Russie permet d’amplifier largement les opérations de la Banque paysanne, qui sert d’intermédiaire entre le barine vendeur et le moujik acheteur ; si, enfin, par certaines mesures d’ordre fiscal, les grands propriétaires sont encouragés à vendre spontanément une partie de leurs domaines, la grande et la moyenne propriétés seront sauvées. Sinon, les utopies socialistes s’imposeront de plus en plus à l’imagination simple du paysan. Nombreux sont déjà les systèmes qui s’offrent à faire son bonheur. La combinaison que le groupe « travailliste » de la Douma propage actuellement peut se formuler ainsi : réunion de toutes les terres en un fonds national, distribuable entre tous les agriculteurs qui travaillent de leurs mains. Pour apprécier la valeur pratique de cette combinaison, quelques chiffres suffisent. À ne considérer que la Russie d’Europe, on estime que le fonds national serait d’environ deux cents millions d’hectares ; qu’il y aurait approximativement vingt-cinq millions de