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une exposition d’art russe. Nous avons, dans nos églises, des trésors insoupçonnés de peinture et d’orfèvrerie ; je pourrais vous montrer des icônes du moyen âge aussi belles, aussi émouvantes que des fresques de Giotto. On exposerait également les ouvrages décoratifs de nos paysans, ces Koustarni vechtchi, qui témoignent chez notre peuple un goût si original et si varié. Provisoirement, je garde mon idée pour moi ; d’ailleurs, elle n’est pas au point. Mais je ne tarderai pas trop à la laisser filtrer dans le public. Les mauvaises langues ne manqueront pas de dire qu’elle est prématurée ; elle prouvera du moins que je ne doute pas de notre victoire…

Après le diner, elle a un long aparté avec Buchanan ; puis elle fait signe à Sazonow, qui vient s’asseoir auprès d’elle.

Sazonow a de l’estime et de la sympathie pour la grande-duchesse Marie-Pavlowna ; il la croit capable de courage, d’élévation, de jugement ; il prétend qu’elle n’a jamais eu l’occasion de donner sa mesure ; il explique ses travers de frivolité par les rôles de second plan où elle a toujours été reléguée. Une fois, il est allé jusqu’à me dire : « C’est elle qu’il nous aurait fallu comme impératrice ! Elle aurait peut-être débuté médiocrement dans son métier de souveraine ; mais elle y aurait pris goût, elle en aurait bien compris les devoirs et peu à peu elle s’y serait perfectionnée. »

De loin, j’observe leur entretien. Elle l’écoute, avec une attention grave, que déride par instant un sourire factice. Mais Sazonow, si nerveux de tempérament, si direct et sincère dans ses paroles, ignore l’art de maîtriser sa figure et ses gestes. Aussi, rien qu’à l’éclat de ses yeux, aux crispations de ses traits, au tapotement de ses doigts sur son genou, je devine qu’il épanche devant la Grande-Duchesse toute l’amertume qu’il a dans le cœur.

Tandis qu’il cède la place à lady Georgina Buchanan, on introduit une cantatrice du Théâtre-Lyrique, Mlle Bryan, qui a une voix de soprano très pure et d’un timbre exquis. Elle nous chante des mélodies de Balakirew, de Massenet, de Fauré, de Debussy. Dans l’intervalle des morceaux, on cause avec entrain autour de la Grande-Duchesse.

Lorsqu’on sert le thé, je m’approche de l’Altesse Impériale, qui, sous le prétexte d’admirer les Gobelins de l’Ambassade, me