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retraite, le ministre de l’Intérieur, Alexis-Nicolaïéwitch Khvostow, est congédié. Sturmer recueille l’une et l’autre succession.

La disgrâce de Khvostow est un coup droit de Raspoutine. Depuis quelque temps, c’était, entre les deux personnages, un duel à mort. On colporte, là-dessus, les contes les plus extravagants, les plus fantastiques. On affirme notamment que Khvostow a voulu faire assassiner Grichka par un agent à sa dévotion, Boris Rjevsky, en complicité avec l’ancien ami de Raspoutine, devenu son pire ennemi, le moine Héliodore, qui vit maintenant à Christiania. Mais le directeur du Département de la Police, Biéletsky, créature de Raspoutine, aurait surpris les preuves du complot et les aurait livrées tout droit à l’Impératrice. D’où, la brusque destitution du ministre.


Samedi, 5 février.

Depuis trois jours, je me suis renseigné de toutes parts sur le nouveau Président du Conseil et je n’ai pas à me féliciter de ce que j’ai appris.

Agé de soixante-sept ans, le personnage est au-dessous du médiocre : intelligence pauvre, esprit mesquin, caractère bas, probité suspecte, aucune expérience ni aucun sens des grandes affaires ; toutefois, un talent assez ingénieux de ruse et de flatterie.

Ses origines familiales sont germaniques, comme son nom l’indique ; il est le petit-neveu du baron Sturmer, qui fut commissaire du Gouvernement autrichien pour la garde de Napoléon à Sainte-Hélène.

Ni sa valeur personnelle, ni son passé administratif, ni sa situation sociale ne le désignaient pour l’éminente fonction qui vient de lui être confiée et qui surprend tout le monde. Mais sa nomination s’explique, si l’on admet qu’il n’a été choisi qu’à titre d’instrument, c’est-à-dire en raison même de son insignifiance et de sa servilité. Ce choix a été inspiré par la camarilla de l’Impératrice et vivement patronné auprès de l’Empereur par Raspoutine, avec qui Sturmer est familièrement lié. Cela nous prépare d’heureux jours !