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d’Occident. Et, d’après les subtiles questions qu’il me posait parfois sans avoir l’air d’y toucher, je présume qu’il ne s’exagérait, ni les forces de son pays, ni l’épuisement de nos adversaires, ni les profits probables de la victoire. Mais il n’en tirait aucune conclusion pratique et je n’ai jamais appris qu’il ait contrarié, en rien, l’œuvre loyale du ministre des Affaires étrangères.

C’est pourquoi Sazonow, qui s’entendait mal avec Gorémykine sur le terrain de la politique intérieure, m’a paru, ce matin, très ennuyé de sa retraite. Après m’avoir fait un éloge banal et tout officiel de Sturmer, il a insisté sur le principe qui, en Russie, réserve au ministre des Affaires étrangères et à lui seul la direction de la politique extérieure ; il a conclu, d’un ton un peu sec :

— Le ministre des Affaires étrangères n’a de comptes à rendre qu’à l’Empereur ; les affaires diplomatiques ne sont jamais délibérées par le Conseil des ministres et le Président du Conseil les ignore totalement.

Je lui demande, en riant :

— Alors, pourquoi siégez-vous au Conseil des ministres ?

— Pour me prononcer sur les questions qui ressortissent légalement au Conseil, c’est-à-dire sur les affaires communes à plusieurs ministères et sur celles que l’Empereur lui renvoie par une décision spéciale, jamais sur les affaires de la guerre et de la diplomatie.

J’essaie d’obtenir de lui quelques renseignements plus précis au sujet de Sturmer ; mais il se dérobe, en me montrant un télégramme qu’il a reçu, ce matin, de Bucarest :

— Bratiano, me dit-il, s’est montré satisfait de la communication que Poklewski lui a faite au nom du général Alexéiew et qui lui paraît offrir une bonne base de négociation. Mais il a décliné l’envoi d’un officier roumain au Grand-Quartier général russe, par crainte que l’Allemagne n’en soit informée. Il veut que les conversations soient engagées, à Bucarest, avec notre attaché militaire. Au fond, Bratiano tient à conduire, en personne, les pourparlers. Mais je crains que ce ne soit là, pour lui, un moyen de traîner l’affaire en longueur.


Jeudi, 3 février.

Tandis que le Président du Conseil, Gorémykine, prend sa