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sans que le quai d’Orsay l’eût mis au courant des protestations élevées, dès le 4 avril, par l’Angleterre contre l’accord franco-turc de Londres et renouvelées le 1er juillet, le 14 juillet et le 3 septembre. De son côté, le Gouvernement anglais a pu croire que M. Franklin-Bouillon n’était chargé que de préparer des arrangements locaux sans aucune portée générale. Il se plaint aujourd’hui que les accords d’Angora dérogent au traité tripartite, contiennent l’abandon de certains engagements pris par nous vis-à-vis de la Grande-Bretagne, et risquent de compromettre le sort des minorités dans les régions que nous évacuons. Au vrai, la discussion qui s’est engagée n’est que la conséquence des politiques divergentes que l’Angleterre et la France suivent en Orient. Bien que, le 13 août dernier, nos deux pays aient fait une déclaration de neutralité, à l’occasion de la guerre gréco-turque, ils n’en ont pas moins continué à suivre des voies opposées. L’Angleterre a réservé sa bienveillance aux Grecs et aux Arabes; la France s’est efforcée de se rapprocher des Turcs. Mais, si nous avons voulu traiter avec Angora, ce n’est pas pour nous assurer en Asie-Mineure des bénéfices particuliers. Les conventions passées avec Mustapha Kemal sont beaucoup moins avantageuses pour nous que le Traité de Sèvres. Nous avons simplement voulu mettre fin à des hostilités qui faisaient couler le sang français et diminuer des charges qui devenaient très lourdes.

Dans leur politique arabe, au contraire, et même dans leur politique grecque, nos amis anglais ont surtout cherché à développer l’influence britannique, et il est même arrivé que cette entreprise s’effectuât aux dépens de nos intérêts. Si c’était l’Angleterre qui avait eu à se plaindre de Feyçal et que nous l’eussions installé à Damas, quels reproches n’entendrions-nous pas? Or, Feyçal a tué des soldats français. Récemment encore, des chefs bédouins ont remis à nos services syriens une lettre qu’il leur avait écrite pour les engager à se révolter contre nous et dans laquelle il affirmait qu’en donnant ce conseil, il était d’accord avec le Gouvernement anglais. Feyçal reste cependant, en Mésopotamie, le porte-parole et le prête-nom de la Grande-Bretagne.

En revanche, lorsque nous recevons de Transjordanie des pétitions d’Arabes qui nous demandent de venir occuper le pays et de les délivrer du frère de Feyçal, Abdalah, nous nous empressons de repousser ces démarches et nous prévenons loyalement les agents anglais. Tout cela nous autorise peut-être à dire que, si nous avons eu des torts, l’Angleterre a, elle aussi, commis des imprudences et des fautes.