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certainement le futur auteur de Cyrano de Bergerac. En tout cas, dès les premières lignes de ce premier ouvrage littéraire, comme il regarde vers la Provence, ce jeune homme, qui en porte à Paris la nostalgie !

Il semble que nulle part le Roman ne doive être plus en faveur qu’au pays de l’imagination toute-puissante, en cette Provence amoureuse de l’Amour (c’est chez elle qu’il a tenu des Cours célèbres), et qui aime tout ce qui en parle, où jadis, dans les manoirs seigneuriaux, on attendait impatiemment la venue, chaque nouvel an, avec la saison des violettes, du Troubadour, — ce romancier voyageur…

Là, près de la mer chantante, sous le ciel bleu, dans l’air parfumé, tout est Roman. Et ce qui ne l’est pas le devient. Car l’imagination des Provençaux est comme leur soleil, ce soleil dont la lumière chaude transfigure et fait resplendir. La couleur éclate partout où il pose sa caresse ; d’une vieille rue grimpant dans un quartier sale, d’un groupe déguenillé il fait quelque chose de pittoresque et de saisissant. Demandez à tous les peintres, d’un rien on fait un tableau avec ce soleil ! Et avec cette imagination, qui n’a qu’à rayonner comme lui, pour que tout se dore et se poétise, — il n’en faut pas beaucoup non plus pour faire un roman.

Ce sont déjà les strophes que Chantecler, vingt ans plus tard, fera monter vers le soleil :


Tu changes en émail le vernis de la cruche ;
Tu fais un étendard en séchant un torchon ;
La meule a, grâce à toi, de l’or sur sa capuche,
Et sa petite sœur la ruche
A de l’or sur son capuchon !


Mais ce n’est pas seulement affaire de soleil, note le jeune critique, il y a aussi la facilité de la race à conter :


A-t-on noté comme en Provence le moindre incident de la vie banale, une anecdote insignifiante, triviale, se transforme et se dramatise ? Et cela, grâce à cette facilité de conter, — peut-être un peu d’en conter, — que presque tous possèdent, à cette verve, à cet enthousiasme dans le récit qui le font vif, coloré, entraînant, l’enrichissant de détails point authentiques toujours, mais choisis à merveille, propres à faire voir, si naturels qu’ils donneraient de la vraisemblance à la vérité même, qui peut en manquer…


« Un rêve est moins trompeur, parfois, qu’un document, » dira, douze ans plus tard, le poète de l’Aiglon. Il continue, ici,