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celui de l’Enlèvement au sérail, voir plus haut. Pour mesdames les cantatrices et messieurs les chanteurs, on ne saurait assez regretter qu’ils aient chanté tout autrement que ne dansa Mlle Zambelli.


Un jour de l’été dernier, feuilletant un recueil d’anciens palmarès de province, nous y avons découvert un discours de distribution de prix qui mériterait lui-même un prix, un prix de musique ou de critique musicale. Au lycée du Havre, en 1876, le jeune professeur de la classe de rhétorique fut chargé de la harangue d’usage. Il choisit comme sujet la musique. Et comme on lui faisait observer qu’il n’y entendait rien, il repartit qu’il en aurait plus de facilité pour se montrer original. Mais il y entendait bien des choses, à la musique, ou plutôt il assura, pour commencer, qu’il l’entendait en toute chose. Et, fût-ce après un vers fameux de Victor Hugo, cette assertion, de la part d’un homme de lettres, pouvait alors sembler nouvelle. Car c’était le temps où dans le monde de la littérature, et de la plus haute, on déclarait volontiers que la musique n’existait nulle part ailleurs qu’en elle-même, ou par elle-même, et qu’aussi bien, ainsi réduite, elle existait à peine. Nous savons comment, depuis, elle a pris ses grades en Sorbonne, y compris le doctorat, et gagné l’estime au moins, sinon la faveur de l’Université.

Quiconque, disait à peu près l’orateur, quiconque fait des vers, ou de la prose, fait de la musique. « Toute phrase parlée contient une phrase musicale, quoique d’un rythme peu régulier et d’une gamme peu étendue. Et de là vient que telle page médiocre peut recevoir puissance et vie d’une diction savante et mélodieuse. C’est pour cela que les anciens attachaient tant d’importance à la déclamation, cette musique du discours, que le second des Gracques plaçait derrière lui un joueur de flûte pour lui redonner le ton quand il s’égarait dans des notes trop aiguës et que Cicéron faisait des gammes tous les matins polir s’entretenir la voix. »

Oui, la musique est dans tout. La nature est une grande musicienne. « Montez, conseillait le jeune professeur aux collégiens du Havre, montez à la Hève entendre le mugissement immense et solitaire des grandes eaux et dites si vous pouvez ouïr sans religieuse terreur cet hymne sourd formé de millions de notes qui ont fait des millions de lieues pour venir mourir avec colère, sous vos pieds. »

Il savait encore, le musicien sans le savoir, écouter après la voix des éléments celle des animaux. Quand les hurlements du chien se mêlent aux « miaulements de soprano » du chat de gouttière,