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une chanson entre toutes divine. Elle n’a pas moins de quatre couplets et quatre fois c’est merveille de l’ouïr. Simple sérénade, que murmure au clair de lune, sous la fenêtre des prisonnières et pour les avertir, un valet de comédie, ce n’est rien en fait de théâtre, et, comme musique, c’est bien peu de chose : un petit « six-huit, » qu’un léger pizzicato accompagne. Un enfant vous solfierait cela à première vue. Mais, je vous en prie, écoutez. Ecoutez dans votre fond, « à l’endroit où la vérité se fait entendre, »[1]et pareillement la beauté. Je dirais presque : regardez. Sur la mélodie aux couleurs changeantes, partagée entre les deux modes, majeur et mineur, voyez passer et jouer les rayons et les ombres. Abandonnez-vous à la langueur, à la caresse du rythme, à l’exquise douceur des modulations; goûtez la saveur étrange et vaguement orientale de certaine cadence. Si tout cela ne vous émeut pas, ne vous ouvre pas le royaume des rêves, des désirs, des regrets; si vous ne vous sentez pas en quelque sorte amené par la musique au seuil de son mystère et comme au bord de l’infini; s’il ne monte pas à vos lèvres un sourire, peut-être une larme à vos yeux, alors vous n’avez pas de musique en vous, vous êtes de ceux que maudit Shakspeare, alors, oh ! alors, je vous plains.

Pour peu que vous ayez en vous de l’amour, ou que vous en ayez eu, les airs, ou les romances, de Belmont ne sauraient vous laisser indifférents. On a retranché la plus belle peut-être, (au commencement du troisième acte), où la mélodie, lentement, en extase, descend, comme des degrés de cristal, les notes de l’accord parfait. Mais il en reste assez d’autres, superbes ou charmantes, pour tout le monde, pour toutes les voix : ténor, soprano, basse, et sur un thème à peu près unique, l’amour. Non pas l’amour à la Gounod, moins encore à la Wagner. La fureur, la folie et la mort, ni la volupté, n’y ont aucune part. Ici délicieux de grâce, de légèreté, de malice, il est ailleurs admirable de profondeur autant que de calme et de pureté. Partout présent, il chante partout. On n’invoque, on ne célèbre que lui. Et cet amour n’est pas l’amour fictif, imaginaire, de personnages insignifiants, de fantoches qui ne vivent pas; c’est l’amour de Mozart lui-même, c’est tout son cœur, avec tout son génie, qu’il offre à sa bien-aimée véritable et vivante. Pour celle-ci, l’Enlèvement au sérail, c’est la bague de fiançailles, c’est la corbeille nuptiale.

Il n’est pas jusqu’à ce bouffon d’Osmin, (un serviteur du pacha), qui ne parle d’amour. Non pas du tout en bouffonnant, (je songe à ses

  1. Bossuet.