Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/699

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maximes l’eut assez vite rassurée. Mais enfin, l’opinion de La Rochefoucauld fit scandale, en son temps.

C’est à présent l’opinion de Rousseau qui indigne les moralistes. L’humeur des gens varie ainsi ; et leur philosophie est fille de leur impatience ou de leur mansuétude.

Remarquons-le, en passant : la doctrine de La Rochefoucauld, sa doctrine de l’amour-propre ou de l’égoïsme, est l’une de celles qui ont eu le plus d’influence sur la philosophie du XVIIIe siècle. On admit, avec La Rochefoucauld, l’on adopta comme un fait incontestable que l’égoïsme fût l’essence même de notre nature. Et l’on organisa une morale de l’égoïsme tendant aux mêmes préceptes que toute autre morale ; en effet, les moralistes sont en chicanes sur les fondements philosophiques de la morale et se réconcilient du moment qu’il ne s’agit plus que des commandements. Toute la morale utilitaire, au XVIIIe siècle, dérive de La Rochefoucauld. En bonne logique ? En réalité ! Helvétius le dit, ce même auteur du livre De l’esprit qu’on nous présente comme disciple de Rousseau. Il écrit : « La douleur et le plaisir physique sont le principe ignoré de toutes les actions des hommes. » Il insiste et, par le mot physique, transforme à sa manière une pensée que La Rochefoucauld n’eût point démentie, une pensée qu’il tient de La Rochefoucauld, non de Rousseau. Après cela, il examine les plaisirs et assure que le principal plaisir est la volupté : ses conclusions seront voluptueuses. La Rochefoucauld l’aurait blâmé.

Cependant, il se réclame de La Rochefoucauld. L’auteur des Maximes a connu, dit-il, « l’humanité telle qu’elle est. » Or, « il faut prendre les hommes comme ils sont : s’irriter contre les effets de l’amour-propre, c’est se plaindre des giboulées du printemps, des ardeurs de l’été, des pluies de l’automne et des glaces de l’hiver. » La Rochefoucauld blâmerait-il son disciple d’accepter si facilement les vices ou les médiocrités de la nature humaine ? La Rochefoucauld ne prétendait pas les corriger ; il prétendait surtout les bien connaître et manœuvrer sans maladresse parmi les hommes imparfaits. Le disciple compte, lui, transformer en vertus sociales les torts naturels de l’humanité. D’Holbach aussi espère « fonder » sur la nature humaine « la morale universelle ou les devoirs de l’homme. » Dont je crois que La Rochefoucauld n’eût que souri. Mais enfin, si vous pardonnez, à La Rochefoucauld ses disciples, n’accusez pas Rousseau de toutes les bévues que les élèves de Rousseau ont commises. Et, si vous ne voyez pas l’influence de La Rochefoucauld sur Helvétius et d’Holbach,