ne doivent pas se modifier beaucoup, si notre spontanéité la plus naïve les produit : mais la littérature les habille ou bien les déguise.
L’amour est-il un de nos sentiments élémentaires ? La littérature lui ôte son ingénuité ; elle aventure aussi la sincérité de l’amour.
Et l’amour est un sentiment qui veut qu’on n’ose point parler de lui sans pudeur, soit que la timidité le rende farouche, soit qu’en définitive ses plus loyaux aveux risquent d’offenser la simple morale. C’est la même précaution de pensée ou de langage, que les uns nomment pudeur et, les autres, hypocrisie. Cette hypocrisie ou cette pudeur a pour effet de rapetisser l’amour. L’amour précieux n’est pas grand’chose ; et l’amour frivole n’est pas grand’chose. On dira que, l’amour frivole, tel que le recommandent et le racontent les Voisenon, les Gentil-Bernard, les Grécourt et les Moncrif, ce n’est pas la pudeur qui le gêne ! La pudeur, non. L’hypocrisie ? Mais oui ! L’effronterie de ces conteurs et poètes galants, très suffisante pour qu’on la leur reproche, est toute parée d’affiquets.
Rousseau a cru que ses amants de la Nouvelle Héloïse avaient supprimé l’hypocrisie et la préciosité ; il a cru les mènera la nature et à la vérité de l’âme et de son rude compagnon le corps.
En même temps, il a voulu les animer d’un grand respect, — fort éloquent ! — pour la vertu. Il a souhaité de joindre la nature et la vertu. Ce fut son rêve et la raison pour laquelle on vous le traite d’optimiste et, quelquefois, de jobard. Il a imaginé que l’homme était naturellement bon. Ses détracteurs l’ont, à ce propos, injurié comme un criminel ou un fou.
Au précédent siècle, nous avons, en La Rochefoucauld, le tenant de l’avis contraire. La Rochefoucauld ne croit pas à notre bonté naturelle, mais à notre égoïsme et, partant, à notre méchanceté première. Eh bien ! ce fut un fameux scandale, quand parurent les Maximes. Mme de La Fayette écrit à Mme de Sablé : « Ah ! madame, quelle corruption il faut avoir dans l’esprit et dans le cœur pour être capable d’imaginer tout cela ! » Elle dit qu’elle en est « épouvantée. » Mme de Sablé, bonne dame revenue de quelques erreurs, composait aussi des maximes beaucoup moins outrageantes que celles de La Rochefoucauld pour la nature humaine ; Mme de La Fayette demande à les lire, afin d’y calmer ses alarmes : « C’est justement parce qu’elles sont honnêtes et raisonnables, que j’en ai envie, et qu’elles me persuaderont que toutes les personnes de bon sens ne sont pas si persuadées de la corruption générale que l’est M. de La Rochefoucauld. » Je sais bien que Mme de La Fayette revint de son émoi et que l’auteur des