Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/692

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idyllique, facile à saisir. Lorsqu’on a suivi le cours de cette littérature, on ne s’étonne plus de son terme qui fut la Révolution. Car le réel ne se prête point aux songes. Et les songes déçus, exaspérés, tournent à la Terreur. » Holà ! holà ! M. de Planhol va trop vite. Que de vieux hommes d’État, lassés du pouvoir ou lâchés par lui, accusent la littérature de tous les crimes et la rendent responsable de tous les malheurs arrivés à l’État, c’est bien : ces gens, vaille que vaille, cherchent un alibi ; et, n’ayant pas su gouverner, ils feraient volontiers tomber la faute sur le prochain. S’ils gouvernaient à merveille, la littérature serait, ce qu’elle doit être, un jeu anodin ou l’essai de quelques idées qu’un peuple sain refuse ou accepte selon leur qualité. C’est au bénéfice et pour l’excuse des hommes d’État qu’on exagère l’influence de la littérature et des idées sur les grands événements sociaux et politiques.

Les idées sont actives et la littérature est influente, oui : mais non pas toutes puissantes, ni seules puissantes ; et, en tout cas, elles ne seraient souveraines que dans la fainéantise des gouvernements. Les causes de la Révolution, puis les causes de la Terreur, demandez-les à l’histoire et, comme on dit, à l’histoire générale, non pas à la seule histoire de la littérature, ni à la seule histoire de la pensée telle que la littérature la reflète. Quand vous aurez énuméré les causes, vraies et urgentes, de la Terreur, il vous semblera inutile et presque saugrenu d’ajouter à la liste funeste et opulente la Nouvelle Héloïse, et voire l’idée gracieuse ou absurde que certains rêveurs se sont faite de la nature et de ses droits élémentaires.

Il y a, du reste, parmi les « utopistes de l’amour » que M. de Planhola si attentivement recensés, plusieurs imbéciles et quelques écrivains orduriers. Il a raison de les honnir. Mais on lui dirait, laissez-les !… S’il ne les veut pas laisser le moins du monde, c’est que son étude lui procurait l’occasion de mettre en valeur une opinion, qu’il n’a pas inventée, qu’il a du moins adoptée avec beaucoup de ferveur : que tout le mal vient de Rousseau et autres gens qui se sont avisés de retourner à la nature. Il accorde à Rousseau des précurseurs ; il avoue aussi que les successeurs de Rousseau ont avili parfois ses idées. Mais enfin, la grande folie date de Rousseau ; elle s’épanouit dans le romantisme. Avant lui, tout allait bien ; notre littérature était sage, « si raisonnable, émouvante et railleuse » et qui « même aux chimères de la Nature et du chaste amour imposait son sourire. » Depuis Rousseau, notre littérature est folle et sera terroriste bientôt.