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railleur sans vergogne et sans ombre d’honnêteté, comment supporte-t-on cela ? »

Etc. (car les hommes de la Renaissance avaient du souffle à l’invective, comme on sait assez.)

Rabelais répondit à cette attaque, la plus ardente peut-être qu’il ait subie de son vivant : chacun connaît le passage du Quart Livre[1]où il qualifie de la manière qu’il faut, d’une part les « demoniacles Calvins de Genève, » de l’autre « les enraigés Putherbes, Briffaulx, Caphars, Chattemites, Canibales et aultres monstres difformes et contrefaictz en despit de la nature. » — Mais sent-on maintenant pourquoi le fils de Picrochole goûtait si fort le Theotimus ? Si l’on doutait que ce fût à cause de ces pages virulentes contre maître François, il n’y aurait qu’à citer une phrase de sa lettre. L’enragé Putherbe ne nomme dans son livre aucun de ses contemporains, sauf Rabelais ; eh bien ! Sainte-Marthe écrit : « Que tes labeurs paraissent inutiles et ridicules à ces athées et épicuriens, dont tu désignes les uns par leur nom… » — Ainsi les enfants de Picrochole n’avaient point pardonné à l’auteur de Gargantua : quinze ans après l’apparition du livre, à Fontevrault, — où une sœur de Charles, au reste, était religieuse, — on s’occupait encore à se venger de maître François.

En résumé, il n’est pas douteux que Picrochole ne « soit » Gaucher de Sainte-Marthe, et que l’idée de la guerre de Picrochole contre Grandgousier et ses confédérés n’ait été inspirée par les différends de Gaucher et d’Antoine Rabelais, à l’occasion de certains procès, et surtout de celui du seigneur du Chapeau contre la Communauté des marchands de la Loire. C’est ainsi qu’une fois de plus nous voyons l’imagination de maître François s’appuyer sur la réalité.

Il reste à suivre sur les lieux les péripéties de la guerre. On le fera sans peine, puisque tant de marches, de contre-marches, de ruses, de sièges et de massacres, tout cela tient dans le creux d’un vallon.

Une année, au temps des vendanges, peu avant le 20 septembre (c’est la date que porte la lettre de Grandgousier à

  1. Chap. xxxii.