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qui s’appelle Ruth. N’y a-t-il pas en de tels tempéraments quelque chose de Phocéen, quelque ressemblance avec la race subtile de ces Grecs propres aux combinaisons des affaires comme à celle des rythmes, race qui jongle avec des notes de musique ou des rimes aussi aisément qu’avec des millions ?


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Telle est la famille charmante et grave où naît et grandit le petit Edmond Rostand ; et voici le lycée, de Marseille où de bonne heure il est initié à la culture gréco-latine. C’est un grand vieux couvent de Bernardines, un ancien monastère désaffecté par la Révolution, et adapté tant bien que mal, à l’aide de réparations, d’aménagements et de rallonges modernes, aux besoins de la vie scolaire. Mais les murs et les couloirs principaux ont conservé un aspect massif, vénérable, monacal. Dans les cours, de grands platanes verdissent au printemps, s’effeuillent à l’automne. Des oiseaux viennent y chanter, accompagnant les voix qui récitent les leçons, mais c’est un bien autre tumulte de chants, de cris et de rires aux heures d’entrée et de sortie. Une foule enfantine s’y presse, turbulente, hâtive, dans une animation de volière aux pays chauds. A la porte du lycée, c’est le grand marché de la ville, ruisselant de couleurs et d’exclamations pittoresques, avec le rouge des tomates, le vert des piments ou des pastèques, le jaune des courges ouvertes, les cris aigus des partisanes et des « porteiris, » qui descendent la pente raide, leur grande corbeille sur la tête ; parfois aussi de petits ânes dévalent, accrochés au sol de leurs sabots, pour supporter le poids de la carriole qui pèse sur leur croupe et presse leur marche un peu ridicule…

Voilà les spectacles familiers que, pendant plusieurs années, contemplait à la porte du lycée le petit Edmond Rostand, les spectacles à l’aide desquels il évoquera quelques années plus tard dans la Samaritaine le grouillement pittoresque des marchés de Sichem.

Mais pour y parvenir ou pour rentrer chez lui, il traversait quatre fois par jour le cœur de Marseille, non pas de cette ville affairée, fiévreuse, où l’on est le plus souvent bousculé, sinon écrasé, telle qu’elle nous est apparue depuis la guerre, mais