Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/666

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savent revêtir, et qui sont celles de l’esprit le plus pur de démocratie et de progrès, elles ne peuvent guère être prises pour l’expression d’une opinion nationale qui reste encore entièrement à former, comme d’ailleurs la nation elle-même. Dans ce pays, où des siècles de gouvernement arbitraire ont empêché le développement de tout esprit civique, où la masse de la population est indifférente aux affaires publiques et complètement illettrée, on ne se trouve encore en présence que de l’expression définie de l’opinion de quelques individus et de quelques groupes. Encore ceux-ci, en dehors de quelques chefs religieux, et de très rares féodaux, ne constituent-ils pas des autorités sociales comme nous en avons trouvées, par exemple, dans les pays de l’Afrique du Nord. Le Turc, qui n’a jamais su administrer, mais qui gouvernait vigoureusement, a pendant longtemps pesé sur la société syrienne. Il l’a nivelée, l’a habituée à ne voir d’autorité que celle qui était conférée par le Gouvernement. Après sa longue action, on trouve en Syrie des riches, mais, parmi eux, très peu de dirigeants. En dehors des revendications d’un certain nombre d’émigrés, qui sont souvent des déracinés depuis longtemps sans contact avec le pays et qui, dans le milieu occidental, ont perdu la notion de ce qui lui est immédiatement applicable, les expressions de l’opinion syrienne ne sont guère jusqu’ici que celles de la classe possédante, de petits groupes de notables qui sont superposés à une masse encore complètement passive. Que ces milieux restreints soient les tuteurs de cette masse et non la Puissance mandataire, c’est une opinion des plus discutables en elle-même. Elle est, de plus, infirmée par les tendances qui règnent dans les petits groupes qui constituent jusqu’ici ce que l’on peut appeler le « pays politique » syrien. On y est profondément individualiste et opportuniste, selon les traditions inculquées par la longue soumission à un régime où chacun s’accommodait le mieux qu’il pouvait de l’arbitraire subi par tous. Ceux qui se croient en droit d’être traités en amis du pouvoir le considèrent comme tenu de plier les règles au profit de leur intérêt individuel. Et ce pouvoir paraît faible, voire un peu malveillant et ingrat, s’il invoque la légalité pour refuser une faveur : l’idée de la loi n’est pas dans la tradition d’un pays où l’on a si longtemps subi l’arbitraire et où on a été habitué à considérer comme la fin de toute politique de savoir, à l’orientale, trouver avec le